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du
poéte tunisien Tahar Bekri (1951), publié en 1985 (Paris,
L'Harmattan).
Dans son itinéraire de l'inquiétude, développé
déjà dans Les Laboureurs du soleil (Editions du
Silex, Paris, 1983), Bekri rencontre la figure emblématique à
tous égards du poéte pré-islamique Imru`ul Qays
(VIéme s.). Consid
i dans sa quête d'une plénitude jamais atteinte, à
travers de courts poémes évoquants des paysages oô
s'exprime toujours une intense émotion.
Le chant du roi errant. Cette premiére partie reprend
les thémes principaux de la mu`allaquâ la plus ancienne
: de l'aube sereine sur le site qu'abandonnent les nomades à
la nuit agitée d'éclairs cosmiques et hantée par
la folie, le chant évoque une géographie de de l'errance
entre les paysages, les lieux, les éléments, les reliefs,
les songes et la réalité.
La quête de la lumiére. Confronté par son
exil irrémédiable à l'opacité du langage,
à la difficulté à nommer la réalité
qu'il accueille sans relâche, le poéte rencontre dans sa
quête de la lumiére les figures d'Ulysse et du poéte
Machado. Son regret constant de l'ailleurs le méne toujours sur
les confins, évoqués comme une "fissure au bord de
l'accalmie" : les images de l'eau, rythmées par les marées,
du port et de l'envol s'achévent néanmoins dans le calme
et la tranquillité, "Au bord des soirs infinis ", ouverts
à une question : "Est-ce l'été qui s'achéve
?".
La retraite du printemps. Le poéte rencontre la figure
du Fou de Jibran, qui va l'accompagner dans cette entrée progressive
dans la nuit. De la présence de l'Autre, confondue aves "un
songe ou l'illusion d'un songe", à l'évocation de
la mort confondue avec la mer et son "linceul d'écume",
il rend compte d'images oô prédominent les thémes
de l'effarement, de l'enlisement et de la noyade.
Les cardeurs d'absolu. Le couple céleste, maudit puis idolâtré
d'Içaf et Na`ila, le guide alors sur la voie d'une parole poétique
libérée de toute entrave, résolument lyrique, ouverte
à un retour possible vers un chant véhément et
proche à nouveau des éléments.
Priéres de marin ivre. Tournant le dos à une morale
spiritualiste, le poéte chante alors la mer et sa splendeur,
la mer vouée au périple de l'eau, du ciel aux montagnes,
des montagnes aux fleuves, et rythmée par les cycles des marées.
Le poéme ne parvient à le signifier qu'à l'aide
de comparaisons et de métaphores dédiées à
l'ouverture, à l'improbable, à la liberté : "Fous
sont les poémes que le langage enchaîne". C'est enfin
la mer que rencontre l'âme du poéte parvenu au terme provisoire
de son errance, et à laquelle il s'unit, comme à la "mére
des saisons à venir".
La concision de l'écriture et la richesse des images fait de
chaque poéme de Bekri un objet ciselé, ouvert et dense.
Les thémes sur lesquels s'articulent les images sont les mêmes
dans tous le recueil et s'appuient sur des éléments stables
: le jour, la nuit, le désert, la montagne, l'envol, la terre,
les champs, les labours et la mer. Mais la densité marque également
cette écriture : le poéme, chez Bekri touche à
l'essentiel du paysage et de l'émotion, et produit un double
effet de nature paradoxale. L'errance, la perte et la dépossession
s'articulent sur des images d'une trés grande précision,
d'une grande netteté.
Au coeur de cette poétique, la métaphore -fondée
souvent sur des des comparaisons explicites et motivées - permet
de circuler sans cesse entre le réel et l'imaginaire, le tangible
et l'intangible. Non pas ouverte à un éloge de la présence
ou de la dérive par rapport à un repére -fût-il
rejeté à l'horizon-, non pas vouée à l'exploration
méthodique d'un domaine, la métaphore permet seulement
au poéte de réitérer dans chaque poéme la
tentative de nommer une présence au monde toujours nouveau, toujours
différant de lui même. Le poéme devient lui même
un nomade, comme l'annonce le premier texte, et comme tel, il se déroble
à une interprétation qui viendrait le figer, l'enchaîner.
A l'inverse, les métaphores s'enroulent et se redoublent à
l'intérieur d'elles-mêmes dans une composition en entrelacs
qui, comme dans "Il y avait ce banc vide" (III, 2), multiplient
les réseaux internes, ou dans les Priéres de marin ivre,
finissent par établir une connivence entre les éléments
: la terre, le feu, l'eau et l'air. Ainsi, également, au terme
d'un parcours métaphorique particuliérement élaboré
(II), Bekri fait apparaître la chose dans le temps suspendu d'un
poéme, avant qu'elle ne disparaisse : "Dans la cour de la
nuit bleuâtre / Il y a le citronnier centenaire / Ses offrandes
sapides / (à) Est-ce l'été qui s'achéve
?". Rares sont les expériences poétiques qui parviennent,
par une telle économie de moyens et en se fondant sur des sensations,
à dire la dépossession et l'exil.
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