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"Je
pénètre un lieu comme étrangère fragile
puis comme conquérante prudente"
: Camille albert dépose des traces subtiles dans la nature, prélevant
ses matériaux dans les lieux même de l'inscription. Puis,
elle les photographie, offrant par là même le souvenir
de l'œuvre éphémère, qui est aussi une œuvre
mais d'une autre nature. On peut imaginer alors ce que deviennent ces
écritures de sable, de terre et de bois, ces colliers de lianes,
ces coutures dans les arbres fendus, que le vent, la pluie et les bêtes
balaient lentement, en Sologne, au Québec ou au Kenya : d'autres
énigmes, mais toujours l'énigme de ce geste initial, qui
se rythme dans une relation éphémère entre elle
et cet "autre vivant (la nature)".
Les sculptures de Camille albert se déroulent sur le sol et dans
les arbres à la limite des apparences : par ces oeuvres, la nature
décroche de ce qui en elle est naturel, alors qu'elles se composent
par ses éléments mêmes.
Jean-François de Raimond rappelle dans son très beau livre1,
un peu oublié , que "le véritable improvisateur,
docile au réel, le pressent et y adapte ses compositions".
Camille albert semble avoir fait sienne cette posture : l'orage qui
survient transforme immédiatement le mouvement de sable sec en
mouvement de terre. Les ocres se foncent, le signe change, renvoyant
le sens dans d'autres directions que celles de la construction initiale.
La photographie modifie aussi l'œuvre : le changement de focale
comme de l'angle de la prise de vue, ou de l'inclinaison, confère
à ce qui a été là, une variation qui participe
de l'énigme. C'est bien le même, mais il est déjà,
et encore, un autre. L'œuvre ainsi se démultiplie dans sa
présence et dans sa représentation photographique. Le
geste éphémère de Camille albert témoigne
ainsi de mélancolie devant le surgissement incessant du réel.
On pourrait s'arrêter devant ce paradoxe : le geste, surtout s'il
est éphémère, manifeste la présence du temps
humain au milieux des éléments, et par la danse rythmée
de l'artiste, le réel devient recherche. C'est de cet acquiescement
à la présence du minéral, du végétal,
de l'aérien et du liquide, mais aussi de sa subtile métamorphose
par la présence même de l'artiste, que nous parvient cette
présence de la nature. L'artiste s'est conférée
la possibilité de ne pas être uniquement soi-même,
pour un temps. Cette transgression est décisive : ce n'est pas
ici le geste de la profanation, qui réduirait l'écart
entre l'homme et son origine, "contact prodigieux avec toute la
réalité antérieure ( et d'abord la réalité
animale)", que nous rappelle Blanchot, à propos des peintures
de Lacaux, mais bien une désobéissance aux normes en usage
d'instrumentalisation de la nature. Dans ce contact étroit, élaboré
dans la patience, c'est vers la jubilation d'une proximité avec
le plus étranger à soi, et le plus étrange, quoique
si proche parfois, que tend le travail de l'artiste. Ici, le sentiment
de l'altérité, concept bien incertain, devient la condition
nécessaire de la perception.
D'emblée, les formes sont rigoureusement élaborées
: d'un geste sûr, la double spirale se développe sur le
sol, à l'ombre d'un groupe d'arbres. Cette double hélice
est métaphore de cet enlacement de l'artiste et du lieu. Cette
commune présence est plus subtile qu'il n'y paraît. C'est
bien la question de l'altérité qui est ici posée
: commune présence, mais bien altérité différée,
tel est bien le présage accompli que nous rapportent ces signes
sur les photographies. Camille albert vient ici déconstruire
en nous l'opposition entre Nature et Culture, qui fit naguère
les beaux jours de la pensée. La nature apparaît dans le
temps où s'accomplit le geste de l'artiste, qui par là
même, nous la rend visible, presque perceptible, à travers
le souvenir de ce geste. La docilité à la nature ne se
confond pas avec la soumission ni la répétition. Mais
aussi, elle en prend acte, et nous invite à retrouver par son
regard, l'enfance de l'art, cette sortie de la nécessité,
qui suscite toujours en nous le sentiment de la merveille.
Mais ce geste éphémère dont la photographie est
mémoire de la trace, on le voit bien, nous rappelle encore combien
le langage, qui nous est si proche pourtant, est si limité :
nature et culture sont ici de bien pauvres termes pour essayer de caractériser
les mouvements qui nous animent, comme la présence de ce par
quoi nous sommes, quand même. Cette enfance de l'art, dont Camille
albert nous restitue les traces, nous ne la percevons qu'une fois le
geste accompli, et peu à peu regagné par son autre, ce
mouvement ininterrompu que nous percevons cependant à peine :
ici, l'éphémère, l'immuable, l'instant, l'éternité,
entretiennent d'étranges rapports, qui sont autant d'énigmes,
malgré les mots que nous entassons, pour nous rassurer de notre
anxiété, ce sentiment quotidien de l'imminence du désastre.
Le geste éphémère de Camille albert, en déstabilisant
l'évidence, célèbre la confiance dans la beauté.
1 de Raymond, Jean-François,
L'Improvisation, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1980
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