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Arts visuels

   

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  D'un geste énigmatique

Camille albert, Présence. Gestes éphémères. Actes photographié. Galerie Ombre et Lumière, Saint-Malo, juillet 2007. Inédit

 

 
 

"Je pénètre un lieu comme étrangère fragile puis comme conquérante prudente" : Camille albert dépose des traces subtiles dans la nature, prélevant ses matériaux dans les lieux même de l'inscription. Puis, elle les photographie, offrant par là même le souvenir de l'œuvre éphémère, qui est aussi une œuvre mais d'une autre nature. On peut imaginer alors ce que deviennent ces écritures de sable, de terre et de bois, ces colliers de lianes, ces coutures dans les arbres fendus, que le vent, la pluie et les bêtes balaient lentement, en Sologne, au Québec ou au Kenya : d'autres énigmes, mais toujours l'énigme de ce geste initial, qui se rythme dans une relation éphémère entre elle et cet "autre vivant (la nature)". Les sculptures de Camille albert se déroulent sur le sol et dans les arbres à la limite des apparences : par ces oeuvres, la nature décroche de ce qui en elle est naturel, alors qu'elles se composent par ses éléments mêmes.

Jean-François de Raimond rappelle dans son très beau livre
1, un peu oublié , que "le véritable improvisateur, docile au réel, le pressent et y adapte ses compositions". Camille albert semble avoir fait sienne cette posture : l'orage qui survient transforme immédiatement le mouvement de sable sec en mouvement de terre. Les ocres se foncent, le signe change, renvoyant le sens dans d'autres directions que celles de la construction initiale. La photographie modifie aussi l'œuvre : le changement de focale comme de l'angle de la prise de vue, ou de l'inclinaison, confère à ce qui a été là, une variation qui participe de l'énigme. C'est bien le même, mais il est déjà, et encore, un autre. L'œuvre ainsi se démultiplie dans sa présence et dans sa représentation photographique. Le geste éphémère de Camille albert témoigne ainsi de mélancolie devant le surgissement incessant du réel. On pourrait s'arrêter devant ce paradoxe : le geste, surtout s'il est éphémère, manifeste la présence du temps humain au milieux des éléments, et par la danse rythmée de l'artiste, le réel devient recherche. C'est de cet acquiescement à la présence du minéral, du végétal, de l'aérien et du liquide, mais aussi de sa subtile métamorphose par la présence même de l'artiste, que nous parvient cette présence de la nature. L'artiste s'est conférée la possibilité de ne pas être uniquement soi-même, pour un temps. Cette transgression est décisive : ce n'est pas ici le geste de la profanation, qui réduirait l'écart entre l'homme et son origine, "contact prodigieux avec toute la réalité antérieure ( et d'abord la réalité animale)", que nous rappelle Blanchot, à propos des peintures de Lacaux, mais bien une désobéissance aux normes en usage d'instrumentalisation de la nature. Dans ce contact étroit, élaboré dans la patience, c'est vers la jubilation d'une proximité avec le plus étranger à soi, et le plus étrange, quoique si proche parfois, que tend le travail de l'artiste. Ici, le sentiment de l'altérité, concept bien incertain, devient la condition nécessaire de la perception.

D'emblée, les formes sont rigoureusement élaborées : d'un geste sûr, la double spirale se développe sur le sol, à l'ombre d'un groupe d'arbres. Cette double hélice est métaphore de cet enlacement de l'artiste et du lieu. Cette commune présence est plus subtile qu'il n'y paraît. C'est bien la question de l'altérité qui est ici posée : commune présence, mais bien altérité différée, tel est bien le présage accompli que nous rapportent ces signes sur les photographies. Camille albert vient ici déconstruire en nous l'opposition entre Nature et Culture, qui fit naguère les beaux jours de la pensée. La nature apparaît dans le temps où s'accomplit le geste de l'artiste, qui par là même, nous la rend visible, presque perceptible, à travers le souvenir de ce geste. La docilité à la nature ne se confond pas avec la soumission ni la répétition. Mais aussi, elle en prend acte, et nous invite à retrouver par son regard, l'enfance de l'art, cette sortie de la nécessité, qui suscite toujours en nous le sentiment de la merveille.
Mais ce geste éphémère dont la photographie est mémoire de la trace, on le voit bien, nous rappelle encore combien le langage, qui nous est si proche pourtant, est si limité : nature et culture sont ici de bien pauvres termes pour essayer de caractériser les mouvements qui nous animent, comme la présence de ce par quoi nous sommes, quand même. Cette enfance de l'art, dont Camille albert nous restitue les traces, nous ne la percevons qu'une fois le geste accompli, et peu à peu regagné par son autre, ce mouvement ininterrompu que nous percevons cependant à peine : ici, l'éphémère, l'immuable, l'instant, l'éternité, entretiennent d'étranges rapports, qui sont autant d'énigmes, malgré les mots que nous entassons, pour nous rassurer de notre anxiété, ce sentiment quotidien de l'imminence du désastre. Le geste éphémère de Camille albert, en déstabilisant l'évidence, célèbre la confiance dans la beauté.


1 de Raymond, Jean-François, L'Improvisation, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1980

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09