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Les
littératures du Sud promènent un singulier regard sur
l'Europe. Après les temps de critique de la colonialité,
ouverts à une mise en scène, en général
radicale, de l'exploitation et des économies de rapine qui montrait
l'acculturation et l'entrée de force dans des formes de la modernité
avec plus ou moins de subtilité (Cheikh Hamidou Kane, L'Aventure
ambiguë) quand ce n'était pas avec brutalité
(Ahmadou Kourouma, Monné, outrages et défis), se
produit un retour sur l'autre, chez lui, qui est désormais observé
dans son environnement et dans son quotidien. L'observateur, longtemps
observé dans la situation hautaine, change de place et de statut
: il est lui-même appréhendé dans son environnement
propre. On le savait pourtant déjà depuis longtemps :
le regard peut toujours s'originer depuis un ailleurs, mais le spectateur
semble parfois l'oublier, tant il regarde lui-même l'autre, alors
que le véritable objet de ce regard est sa propre fascination.
Ainsi l'écrivait Vialatte, en 1951, dans Les Fruits du Congo
:
Ce
que font les autres est toujours beau, ce que font les autres a toujours
je ne sais quoi de parfait et de subtilement admirable que rien ne permet
de contester. Comme ils doivent être heureux d'être eux
! Que n'est-ce pas quand ils sont la négresse de l'affiche !
Pourquoi attendons nous tant d'eux ?...Si les histoires ont du succès
cela tient sans doute en grande partie à ce prestige mystérieux
des "autres". Nous imaginions que dans leurs Iles "les
autres" devaient mener une vie étonnante. Nous ne songions
pas un instant que nous sommes les "autres" des autres, que
nous pouvons par là tout savoir de leur vie et qu'ils ne voient
pas plus la leur que nous n'apercevons la nôtre. Le romanesque
est une optique de spectateur.1
Ce changement
de posture des différents acteurs de l'histoire ne se produit
pas dans l'évidence, qui fut celle du regard du colonisateur.
Le déplacement du regard (point de départ et objet de
ce regard) entraîne inévitablement celui des questions.
Mais aussi un déplacement de cette figure même désignée
par Vialatte : l'altérité des colonisés a précisément
été fondée par un discours qu'ils se sont appropriés
pour mieux le mettre en crise. Le regard promené sur les occidentaux
prend souvent la forme d'un va et vient incessant et dont le point de
départ est la propre vie de celle ou de celui qui parle. Ici,
le champ des possibles s'est resserré : les mutilations de l'histoire
ont provoqué un clivage intenable, une schizophrénie qui
a obligé à suivre ses pas en s'éloignant de soi.
On peut l'écrire autrement. L'écrivain est toujours soumis
à une double contrainte : il doit raconter une fiction, à
partir d'une origine tout aussi fictionnelle, puisque généralement
déjà informée par la tradition, quand ce n'est
pas par la littérature de l'autre et pour l'autre. Il doit ainsi
chercher un ailleurs, afin de parvenir à fonder sa quête.
C'est pourquoi, si souvent, ce que rencontrent les personnages dans
la première partie de ce trajet, c'est bien le vide, les pas
qui se dévident dans le sur-place. Et ce sont les mères,
souvent, qui exigent la recherche de l'issue: « Pars
ma fille, pars. (...) Ici, c'est trop dur », « Ne reviens
pas de sitôt dans ce pays », « Avec
la dictature de Duvalier, il n'y avait plus d'horizon et ce à
quoi je voulais me consacrer exigeait que je sois ailleurs »,
écrivait Emile Ollivier. A partir de ce moment décisif
est rompu le lien à la tradition active. Il faut devenir autre
sans cesser d'être soi, et parvenir dans ce paradoxe à
nommer ce qui dans l'ailleurs contrevient à l'accomplissement
de soi. Il faut parcourir un ailleurs dont la description est déjà
épuisée par plusieurs siècles de littérature
et dans une langue que, bien souvent, les personnages-narrateurs venus
d'ailleurs maîtrisent mieux que les autochtones et les indigènes
européens.
1
L'ailleurs ici même
Par sa présence,
l'autre installe d'abord l'ailleurs ici même, comme le rappellent
tant de romans : le territoire dans lequel on vit, où se sont
transmises les paroles des anciens, les traditions, les cultures, est
nouvellement découpé. Il est administré. Ainsi
est marquée immédiatement la présence du fonctionnaire
dans Le Feu des origines de Dongala :
« Ce
drapeau est le symbole de mon pays. Tous ceux qui le touchent sont libres.
Vous l'avez touché, vous êtes libres, vous êtes sous
la protection de mon grand pays. »
Un instant
auparavant, le héros, Mandala Mankunku, a plongé ses yeux
dans ceux de cet administrateur, et cherché à y retrouver
le paysage d'où s'origine le regard de cet autre, comme l'administrateur
y avait perçu lui-même « l'immense
forêt équatoriale verte et inaccessible à son âme
» :
Mandala Mankunku a aussi plongé son regard au fond des yeux bleus
de l'étranger, des yeux bleus outremer : y défilent d'innombrables
forges fabriquant à une vitesse surprenante un nombre incalculable
de fusils à cartouches et peut-être même des fusils
à dix coups ; il ne comprend pas, il est terrifié, il
cherche derrière ces usines et ces armes les tombeaux de leurs
ancêtres, le secret de leur puissance ; il ne trouve pas, son
esprit ne saisit pas la logique de ce monde et l'homme devant lui devient
plus redoutable encore.
Et cette administration marque immédiatement sa présence
par la destruction et la mort : l'administrateur tire sur les animaux
qui peuplent forêts et savanes, il blesse, il tue, sans s'arrêter.
Il est content, tout lui appartient, il peut faire
ce qu'il veut. (...) Quarante ou cinquante éléphants,
entassés là les uns sur les autres ! (...) L'homme au
visage rouge, aux cheveux raides, aux bras blancs et qui fait peur aux
enfants, a vraiment une puissance plus grande encore qu'ils ne croyaient.2
Désormais l'espace change de configuration, et les êtres,
de statut. Centrés par la géographie et l'exploitation,
ils sont découpés, mutilés et détournés
des généalogies et des pratiques sociales traditionnelles.
Il faut alors à l'écrivain parvenir à nommer en
même temps les temps anciens et les transformations, brutales.
Ici même est devenu un ailleurs, où la parole de l'autre
s'est substituée au dire ancien. Il faut alors s'emparer de cette
langue de l'autre pour dire le déséquilibre. Il faut construire
rapidement de nouveaux savoirs. Mais en même temps, cette langue,
il faut parvenir à la couler dans le moule qui permettra de bâtir
la contre-histoire de l'épopée coloniale. Dans le roman
de Dongala, un épisode particulièrement cocasse témoigne
de cette transformation : le héros, forgeron, utilise les médailles
pieuses distribuées à satiété par les autorités
religieuses catholiques, pour fabriquer des bijoux traditionnels, dont
se parent les femmes des colons. Lorsque la pratique est découverte,
le héros est jeté en prison. Toute la difficulté
est là : comment survivre à cette incessante altération
de soi par l'autre, et comment habiter les paysages, irrémédiablement
transformés, comme un ailleurs partout ici même ? Comment
ne pas céder au désespoir d'habiter un monde qui n'a plus
de sens et qui ne parvient pas à en interroger les causes ?
2
L'apostrophe
Premier temps : il faut apostropher l'autre, et parvenir à lui
faire entendre ce qu'il n'écoute pas, tant il est centré
sur lui même, tant il ne se regarde pas. Mais dans un même
mouvement, apostropher aussi ceux qui, après les Soleils des
Indépendances se sont effondrés dans la nuit des partis
uniques, la corruption et le « salmigondis
de slogans qui à force d'être galvaudés nous ont
rendus sceptiques, pelés, demi-sourds, demi-aveugles, aphones,
bref plus nègres que nous ne l'étions avant et avec eux
»3. Les deux, le (dé)colonisé
et le colonisateur sont victimes de la même opprobre, comme l'affirme
Yambo Ouologuem dans sa Lettre à la France nègre
4. L'auteur montre que sous
le couvert de la confrontation des couleurs, les véritables questions
ne parviennent pas à émerger :
La France finit par devenir pour les Nègres
un alibi. Et cet alibi-là dispense de penser les vrais problèmes
et de l'Afrique et de la France. (...) Il est d'autres Nègres
en France que les Noirs d'Afrique ou des Amériques : les gagne-petits,
la horde des gens hantés par le S.M.I.G., anonymes habitants
de ce désert français, qui est, lui aussi, une petite
Afrique.5
Ouologuem fait ici sortir les discours de la forclusion à laquelle
ils sont soumis depuis la conquête coloniale. Et le pamphlet,
trente cinq ans après sa première publication, conserve
en grande partie son efficacité. La question centrale est bien
le décalage entre le politique et sa mise en œuvre par des
personnages ternes, voire pour la plupart médiocres, proches
en cela du colonisateur aperçu dans le roman de Dongala :
... d'où vient cette haine du Français
moyen de la grandeur qui caractérise la politique de la France
nègre, et de l'aide aux pays sous-développés ?
De l'impuissance de ce Français à réaliser cette
grandeur pour son propre compte. Et même de la concevoir. Aussi,
de ce que politiquement, il n'a conquis d'importance que par l'impuissance
ou la ruine, voire l'abaissement des grandeurs visibles...6
Réponse inquiétante : c'est donc cela qui a conquis l'Afrique
? C'est donc cela que le point de départ de ce regard colonisateur.
Découverte essentielle. Les écrivains vont s'y engouffrer,
et, ainsi, la trame d'une autre géographie va parvenir à
se dessiner.
3
Partir ailleurs
Second temps : il va se produire un décalage entre l'ailleurs
idéalisé dans sa brillance et la réalité
concrète des paysages : ici, sous le régime dictatorial,
où prévaut « l'éloge
de la mort »7, tout
n'est plus que poussière, pulvérulence, déforestation
et misère. Ailleurs, s'ouvre un champ des possibles. Mais pour
pouvoir partir, il faut d'abord se déprendre et vendre «
sa part d'héritage » :
Là-bas, c'est un pays riche. Les voisins
le racontaient souvent, les magasins remplis de nourriture, les poubelles
où tout est jeté, les voitures, les immeubles. (...) Pour
quelle Europe de carte postale s'exilait-elle ? Pour quelles images
de gratte-ciel, de femmes blondes, de beaux jeunes hommes ? Pour quelles
fantaisies qui hantaient son imaginaire ?
se demande la Sahondra, d'Elle au printemps de Michèle
Rakotoson 8. Au seuil de son arrivée,
le personnage s'interroge. Sa correspondante, Marie, elle-même
petite-fille d'immigrés d'Europe centrale, tente pourtant de
la prévenir qu'elle doit chasser les représentations idylliques
de son esprit :
il vaut mieux que tu arrives ici sans trop d'illusions, c'est sûrement
moins difficile de vivre en France que chez vous, mais ne t'attends
pas à trouver le paradis sur terre...9
L'arrivée sur le sol français est toujours surprenante,
quelque peu dysphorique. La ville lumière ne s'offre pas. Les
couleurs semblent passées :
La France, ça ?...
Ah non alors, quelque chose ne collait pas. La France qu'elle imaginait,
c'était des buildings, le Louvre, la Tour Eiffel... pas ces baraquements,
couleur indéfinissable.10
C'est le temps de la surprise : le premier Français aperçu
semble bien nécessiteux : « ce bel
éphèbe » est « pauvrement
vêtu d'un bleu de travail, un bleu qui en l'occurrence était
orné de tâches de cambouis, et ce bel homme déchargeait
les bagages ». Marie n'est pas là. Sahondra doit
vite se débrouiller toute seule. Elle ne peut voir Paris qu'à
partir de ses yeux d'Imerina, et en même temps braver les interdits,
désobéir aux paroles de la grand-mère qui parle
en elle, changer de posture, parvenir à se décentrer.
Il lui faut « conquérir Paris et
ses palmes académiques » (p.65). Il lui faut surtout
parvenir à ajuster son regard, et déterminer le point
d'équilibre à partir duquel le visible commence à
correspondre à ce qu'elle en sait.
A Valenciennes, les maisons de la vielle ville
ont des airs de femmes mûres, épanouies, des airs de femmes
flamandes comme on les décrit dans les livres, ces femmes qui,
dans l'arrière-boutique de leur drapier de mari, fermaient leurs
bocaux de confitures, scellaient les boîtes de conserves, pour
se garder corps larges, seins généreux et girons arrondis
pendant tout l'hiver. Cela aussi, elle l'avait appris dans son lycée
à Madagascar, elle qui n'aurait jamais pu imaginer que cette
ville ressemblait à ceci.11
Très délicatement, le décentrement fait son œuvre.
Le monde peu à peu ressemble à ce qui en est dit. Mais
trop souvent, pour d'autres personnages de romans, la déception
est assumée : fraîchement arrivée de « Tinga
», Cathy du Mal de peau de Monique Ilboudo a une vision
préformée de Paris, qu'il lui faut progressivement déconstruire
:
Paris de jour n'émut pas plus Cathy que
le Paris entrevu la veille dans le crépuscule. Le sentiment qu'elle
ressentait était proche de la frustration. On lui avait promis
un paradis terrestre, et la ville qu'elle avait sous les yeux, malgré
sa beauté, ne pouvait la satisfaire. Cathy était consciente
que son regard eût sans doute été autre, si elle
n'avait pas dans sa tête les images d'un Paris préconçu,
irréel.12
Les lieux parcourus par les personnages sont identifiés par leur
seul nom : Saint-Germain, le quai Malaquais, où se dresse l'école
d'architecture, la résidence universitaire d'Antony, un restaurant
Quick. Géographie quadrillée, marquée, dans laquelle
il va falloir se glisser, pour y prendre une place. La partie alors
n'est pas aisée.
4
Survivre dans l'ailleurs
Un passage obligé est celui de l'intégration administrative
: il faut obtenir des papiers permettant de régulariser la situation.
L'étranger est toujours en situation irrégulière,
confiné dans une précarisation à laquelle il tente
d'échapper par tous les moyens, à la limite d'une illégalité
entretenue. Sahondra, en fait les frais, et la « dialectique
» administrative entre le titre de séjour, la carte d'étudiant,
le permis de travailler est longuement décrite. Il faut s'adapter,
ruser avec l'administration. Perspective déceptive : ceux qui
viennent ont le sentiment aigu de se reconnaître dans une culture
qui les a formés, qui rend impossible un autre ailleurs que la
France, et voilà que celle-ci déçoit, rechigne
à reconnaître les siens. Dans son Histoire des Français
venus d'ailleurs de 1850 à nos jours, Vincent Viet montre
bien que la construction européenne a eu pour conséquence
en France la liquidation du passé colonial, et la transformation
des ex-colonisés en étrangers absolus :
D'étrangers "absolus" - au sens
de l'ordonnance du 2 novembre 1945 - dont la venue était favorisée,
les immigrants européens sont devenus, par le fait de la construction
européenne ou d'accords bilatéraux très favorables
aux Européens de pays tiers, des étrangers "relatifs"
au statut très enviable ; à l'inverse, les ressortissants
des anciennes colonies sont passés, à mesure que s'estompaient
les conséquences politiques de la décolonisation, d'un
statut de Français "relatifs" à celui d'étrangers
"absolus". Cette "liquidation" du passé colonial
français dans la construction d'une Europe qui n'a d'autre mémoire
communautaire que celle de ses divisions passées n'est évidemment
pas sans effet sur l'identité nationale : mettre l'Autre soi
à distance, c'est oublier une partie de ses origines francétrangères
; c'est aussi fabriquer dans la mémoire collective "un chaînon
manquant" dont l'absence pèse sur la compréhension
(par "nous" et "eux", c'est-à-dire "nous
autres") d'un passé bien présent.13
La nouvelle de Jean-Luc Raharimanana, « Bas Pays », dans
L'Europe, vues d'Afrique, met en scène cette confrontation
avec l'administration, au moment de la naturalisation. Il faut dérouler
les généalogies, prouver la nationalité française
de ... l'arrière grand-père, pour être reconnu.
Reconstituer la chaîne, justement, car
la France semble ignorer qu'elle a fait des enfants
là-bas. Dans ces terres lointaines. Dans ces ex-colonies. Dans
le ventre de ces indigènes. Comme si la fin de la colonie effaçait
du même coup l'existence de ces enfants !14
Changement radical, cependant, avec les textes plus anciens, la couleur
n'est plus considérée par l'être africain comme
marque d'infamie, mais bien comme ce qui est, une « identité
» (Ken Bugull). Et pourtant, que d'avanies reçues.
Dans Le Mal de peau, Monique Ilboudo met en parallèle
le destin de deux femmes, la mère, Sibila, et sa fille, Cathy,
née d'un viol commis par le commandant de cercle. La mère
a du fuir le village, et a abandonné son aire familiale. Cathy
rencontre, en France, Régis, descendant d'une lignée aristocratique,
dans laquelle prévaut encore le mythe du « sang-race ».
La mère réagit :
J'admettrai à la rigueur que tu me présentes
n'importe quelle roturière, mais blanche, blanche ! Tu m'entends
? Pas de noire !
A quoi répond la fange du discours de Régis
:
Mais Maman, elle n'est qu'à demi noire !15
La « sang-mêlée »
contrevient à l'ordre des êtres. Taguieff a bien montré
combien ce « désordre »
recouvre une description du monde qui s'appuie sur une rhétorique
absconse :
Le mythe du sang-race est une variante du mythe
du pur et de l'impur. On peut certes le penser d'une façon substantialiste,
penser le pur en tant qu'identité essentielle propre menacée
de disparition, ou comme trésor biopsychique accumulé
risquant d'être violé ou volé. Mais il s'agit plus
profondément d'un problème de catégorisation :
l'impur, c'est ce qui d'abord n'est pas à sa place. Ainsi l'immigré
est-il impur en ce qu'il est déplacé, le métis
du fait qu'il incarne l'impossibilité d'une double appartenance
catégorielle. On peut interpréter une telle conception
par le schème de la biologisation du thème de la société
de castes. Les humains sont, dans ce cadre représentés
comme des êtres par nature fixés à telle ou telle
place, assignés à telle ou telle catégorie. L'impur
est le décatégorisé ("déclassé"),
le surcatégorisé (le métis), le déplacé
ou l'être "acatégorisé" (immigré).
Le noyau du pur est corrélativement l'indéplaçable,
l'intransmissible, l'inassimilable : est pur, le non-mélangé,
le type fixe, distinct, défini, l'être unicatégoriel.
Est impur tout être qui transgresse les frontières fixées
par la nature : le métis est le produit de la transgression des
"barrières du sang". Mythologie politique.16
L'impureté est encore renforcée par la couleur de la peau.
Mais cette figure rhétorique n'est plus réellement fondée
en raison, comme le constatent la plupart des auteurs. Elle s'est seulement
diffusée, a rejoint un discours stéréotypé,
et surtout, d'une géométrie réduite. Elle est toujours
active ; mais désormais, il est possible d'y répondre,
et autrement que par la seule invective.
Dans La Préférence nationale, Fatou Diome explore
la dimension des discours proférés, interroge leur origine,
et y répond. La couleur chocolat de la peau, comme le nom signalant
l'origine africaine, sont essentialisés :
Pour madame Dupont, africain est synonyme d'ignorance
et de soumission. (...) Je me dis que c'est sans doute pourquoi, dans
ce pays, même les métiers ont des visages. Surtout les
plus durs et les plus mal payés. Quand vous entendez un marteau-piqueur,
inutile de vous retourner, c'est à coup sûr un noir, un
turc, un arabe, en tout cas un étranger, qui tient la manette.
Quand au bruit des aspirateurs, il signale presque toujours la présence
d'une Africaine, d'une Portugaise ou d'une Asiatique.17
Fatou Diome met en relief deux types d'attitude de rejet, auxquelles
la narratrice répond de façon choisie. La première
est la négation, brutale, et qui appelle une réponse cinglante
:
_ Rentre dans ta forêt !
C'est curieux ce que les gens racistes manquent de vocabulaire, c'est
dû peut-être à leur défaut d'instruction chronique.
(...)
_ Vous devriez m'y accompagner et profiter de l'air frais, lui rétorquai-je.
C'est un bain de jouvence qui vous éviterait un lifting.18
La seconde est celle précisément incarnée par madame
Dupont et les Dupire de la nouvelle « Cunégonde à
la bibliothèque ». Madame Dupont suppose que l'Africaine
ne saurait comprendre une autre langue que le « petit nègre
» :
« Toi y en repassé pour Madame. (...)Toi
y en a aspirateur. (...) Toi y en a lavé carrelage, etc. ».
(...) J'étais chez les Dupont, changeant des couches, saupoudrant
de petites fesses roses, faisant le trajet de l'école quatre
fois par jour, poussant le landau d'un bébé blond que
je ne pouvais même pas faire passer pour mien, passant l'aspirateur,
repassant, lavant le carrelage de toute la maison, et maudissant la
merde des Dupont qui s'accrochait aux parois des w-c et ne sentant pas
la rose. Tout ça pour un salaire de garde d'enfant.19
La narratrice observe, dévoile, décrit une humanité
alors réduite le plus souvent à ce pour quoi elle a engagé
la bonne, son fonctionnement quotidien, la production de ses déchets
et le remplissage de ses poubelles. L'habitat intérieur des Dupire,
par exemple, est comparé à une « porcherie
»20 dans laquelle la femme
de ménage est confrontée sans cesse à une image
d'elle-même dégradante, à des humiliations, à
une atteinte sans relâche à son « humanité
» et à sa « féminité
». Et c'est bien à partir de cette atteinte que se produit
le premier retournement, tout intérieur : la narratrice se tourne
vers ses aïeux, qui lui ont transmis ce qu'il faut bien appeler
une morale, fondée sur le sens de l'effort et de la vérité.
C'est aussi à partir de cette double exigence que la narratrice
se retourne contre les personnages exploiteurs et parvient, une fois
tout au moins, à installer des relations fondées sur le
sens même de cette humanité. Madame Dupont raille la jeune
femme, dans un moment de connivence avec son mari, et se trompe en en
appelant à une référence culturelle cardinale :
_Toi tête pour réfléchir ?
(...)
_Cogito sum, Je suis pensée, comme dirait Descartes. (...)
Mais cette fois, c'en était trop, l'outrage était grand
et l'héritage de Descartes menacé. (...)
_ Non, Madame, Descartes dit Cogito ergo sum, c'est-à-dire 'je
pense donc je suis', comme on peut le lire dans son Discours de la Méthode.
(...) Chère madame, les enfants de monsieur Banania sont aujourd'hui
lettrés. 21
Au delà du caractère anecdotique de la situation, ce que
remet en question la narratrice est précisément le rapport
médiocre des Français, apparentés sans nul doute
aux Français moyens de Ouloguem,
à leur propre culture (Dupire est incapable de faire le lien
entre le prénom de Cunégonde revendiqué par sa
bonne et le Candide de Voltaire), voire à leur propre langue.
C'est un pan entier du rapport aux anciens maîtres qui vole par
là en éclat. L'être s'affirme pleinement, à
partir de soi, mais aussi se revendique de la culture de l'autre : «
Je suis une femme, noire, africaine, et qui pense. Je suis »,
dit la bonne, « et peut-être, êtes-vous dans l'oubli
de soi, vous-mêmes qui êtes aliénés ».
Moment de surprise, suspension du regard, qui va peu à peu voir
son angle se modifier. Ainsi, dans la nouvelle qui donne son titre au
recueil, la narratrice fait part de sa surprise lorsque face à
un boulanger qui offre un emploi de vendeuse, elle entend :
_Ya ya, tu parles un pon al-sa-cien ? (...)
Je croyais que tous les Français parlaient le français
au moins aussi bien que ceux qu'ils avaient colonisés. Et voici
que j'étais linguistiquement plus française qu'un compatriote
de Victor Hugo.22
Et pourtant, cette assimilation linguistique, la narratrice sait que
les « terres africaines » en
ont payé le prix du sang. Le décalage est violent. Dans
le monologue qui suit cette confrontation, les conditions de la colonisation
sont rageusement rappelées, comme le souvenir du grand-père,
tirailleur sénégalais, revenu mutilé 23.
Et puis, enfin, cette image, si évocatrice, et dont la polysémie
mérite une écoute attentive :
La France est un grenier sur pilotis, et certaines
de ses poutres viennent d'Afrique.24
Pourtant, passé le seuil de cette reconnaissance, une autre figure
surgit, tout aussi problématique : la jeune fille est aussi rapidement
réduite à l'état d'objet sexuel.
Depuis que Jean-Charles sait que j'ai lu Descartes,
il devine aussi que les fesses cambrées et chocolatées
peuvent être confortables.25
Pourtant, cette vision doit aussi être tempérée
: certes, « c'est fou comme un pays civilisé
peut être aussi bourré de gourgandines et de cornichons
avariés qui se prennent sans état d'âme pour Descartes
» 26, mais il faut enfin
en terminer avec la vision misérabiliste, strictement culpabilisatrice
et univoque portée sur la France. Le roman de Sami Tchak, Place
des fêtes, est ainsi une formidable charge contre les visions
simplificatrices et manichéennes qui interdisent de penser l'interdépendance,
mais aussi la nécessité de l'État de droit. Dans
ce roman particulièrement jubilatoire, la représentation
du préjugé opère un déplacement radical
: il s'agit coûte que coûte de n'occulter aucun des champs
que travaille la modernité. La force du désir devient
le ressort essentiel qui construit l'histoire de chacun des êtres.
5
Vers un diagnostic ?
C'est ainsi une double méconnaissance qui est mise en évidence.
Déjà, Sélim Abou, dans L'Identité culturelle
avait évoqué cette désaffection, par des termes
assez critiques. Le formalisme, mais surtout « le
passage de la société française au statut et au
style d'une société de consommation et l'absence d'une
politique culturelle systématique qui promeuve la créativité
», les difficultés rencontrées dans l'éducation,
le relâchement linguistique, etc. constituent selon l'anthropologue
libanais qui se penche sur la société française,
un faisceau de causes qui semblent peu à peu oblitérer
la dynamique de cette identité culturelle 27.
Mais c'est bien dans le récent recueil de nouvelles, L'Europe,
vues d'Afrique que le constat est le plus accablant. Tout d'abord,
fait significatif, si tous les auteurs sont francophones, désormais,
c'est bien la référence européenne qui est activée,
et non plus la seule France. Ensuite, dans chaque texte, c'est bien
à la fois l'origine africaine du regard et l'objet de ce regard
qui se répondent, s'alimentent l'un l'autre, provoquant par là
une « mise en abyme » culturelle particulièrement
efficace. Aucun des deux espaces n'est traité de façon
absolument positive ni absolument négative, et ce n'est que par
la prise en compte de ces aller et retour du regard et de la parole
que des sens possibles se déploient. Enfin, c'est bien une palette
de postures, d'attitudes, d'interrogations, esquissées par les
auteurs précédents, que semblent développer ces
dix nouvelles. Ainsi, l'instrumentation des pratiques néocolonialistes
par les dictatures (« La petite Vieille », de Boubacar Boris
Diop), ou bien celle des confrontations culturelles (« Dieu est
grand mais le blanc n'est pas petit », de Florent Couao-Zotti),
comme de la séduction entraînée par les produits
de la technologie, alors que le terrorisme, les renoncements politiques
et les déchéances sociales laissent les jeunes Algériens
s'enfoncer dans l'ignorance et le désespoir (« Allô
», d'Aziz Chouaki), confirment encore le rapport de pouvoir entre
l'Europe et l'Afrique. Mais aussi, se lèvent une série
de diagnostics, qui semblent plus nettement traquer ce qui, en Europe,
est plus particulièrement atteint. Koulsy Lamko évoque
ces espaces de la réflexion qui semblent totalement échapper
à une pensée toute tournée vers la rationalité
technique, comme la maîtrise du temps, enfermé dans des
machines et qui ne parvient pas à entendre ce qui se crie dans
ses propres marges : il faut que les êtres les plus chers meurent
pour que la parole se libère et que puissent se dire la solidarité,
l'affection (« Au large de Karnak »). Un oubli du même
ordre, pour Jean-Luc Raharimanana, s'est glissé dans les franges
de la géographie française : à partir de sa propre
histoire malgache, et des sociétés esclavagistes de son
pays d'origine, fondées sur le préjugé, il scrute
les traces laissées par l'horreur vichyste et nazie dans la géographie
urbaine de la Seine-Saint-Denis, ces traces qui peu à peu s'effacent
dans leur oubli, leur occultation, traces confiées par un ancien
déporté qui aura quitté l'Europe pour Madagascar.
L'Europe sera devenue invivable pour ceux qui ont survécu.
Je n'arrive pas à expliquer ce silence.
Il n'est pas d'ignorance pourtant. Des hommes ont vu. Des hommes ont
consigné. Silence des livres. Mutisme des mots figés en
simples caractères. Il faut bien tourner la page pour lire le
Passé...28
En même temps, se lève l'interrogation sur l'être
de cette Europe, qui semble trop souvent s'achever dans l'image qu'elle
se donne, dans son évidence sans conviction. Sombre constat :
au lieu d'être une réalité, elle n'est qu'un pur
mirage, quand elle ne se réduit pas à l'exclusion («
L'Homme de Barbès », extrait du Ventre de l'Atlantique,
de Fatou Diome). Il y a urgence à en collecter les récits.
Pourtant c'est bien le décalage, entre l'humanisme européen
et son incapacité à avoir enrayé la marche vers
l'horreur qui est au centre de la nouvelle de Patrice Nganang, «
La bibliothèque d'Ernst ». La dysharmonie entre cet humanisme,
la réalité quotidienne qui fait que le Noir est encore
assigné à une place, chargée de représentations
plus ou moins valorisantes, et « la trahison
des humanités devant les génocides de notre temps
» 29 ne peut être compensée
que par un changement individuel des pratiques : il faut, dans son existence
quotidienne, parvenir à dépasser les montages stéréotypés,
comme par exemple, les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes.
La chance actuelle des sociétés est qu'il leur devient
possible de réinventer de nouvelles manières de vivre.
Ken Bugull, de façon particulièrement subtile, montre
ainsi qu'il est devenu possible de retrouver une féminité
qui s'affirme à la fois comme une identité et comme un
champ de possibles, et d'établir des liens, parfois critiques,
entre les traditions, la modernité coloniale et postcoloniale,
et la nécessité d'être soi. Mais ce lien entre l'Afrique
et l'Europe est aussi marqué par « La Méprise »,
comme dans la nouvelle d'Arezki Mellal : échange de courriels
douloureux entre un chercheur algérien, traqué par les
militants islamistes et une correspondante française, qui ne
parvient pas à se décentrer suffisamment pour parvenir
à entendre le discours de l'autre, qui préfère
renoncer à une relation fondée sur une telle surdité.
Tout un pan des relations politiques mais aussi affectives entre les
deux pays est évoqué. On se souvient ici de l'apostrophe
de Yasmina Khadra , parue dans un article de presse, « A ceux
qui crachent dans nos larmes » :
Que savez-vous de la guerre, vous qui êtes
si bien dans vos tours d'ivoire, et qu'avez-vous fait pour nous qui
tous les jours enterrions nos morts et qui veillions au grain toutes
les nuits, convaincus que personne ne viendrait compatir à notre
douleur ? Rien. Vous n'avez absolument rien fait.
La compassion que montre la jeune femme de la nouvelle semble en effet
bien superficielle, et convenue. La dernière nouvelle du recueil,
« L'Heure des adieux », de Fama Diagne Sène, fait
monter la problématique générale d'un cran : c'est
bien dans le cadre des Nations-Unies, cadre ouvert, multi-ethnique,
que la question de l'Europe doit être reposée. Telle est
du moins l'affirmation du vieil Abdou Cissé, qui part à
la retraite, après avoir été fonctionnaire international.
Et c'est avec toute l'expérience, mais aussi, une part de cette
sagesse ancienne, de cet humanisme du quotidien, qu'il peut établir
un diagnostic quasi mortifère des pratiques sociales européennes
:
Ça va mal oui, parce que l'Europe se suffit
à elle-même. Elle est convaincue, à tort d'ailleurs
de la suprématie et de l'immortalité de sa civilisation,
face à toutes les autres considérées comme barbares.
Il y a désormais urgence à fabriquer du lien, à
reconnaître la part de l'autre, à assumer la diversité
des identités culturelles, et à mettre en œuvre des
solidarités efficaces, sans occulter les vomissures de l'histoire.
L'exigence est formulée, sèchement :
Maintenant qu'il existe des docteurs pour chiens sous les cieux d'Europe,
il est possible de réparer les erreurs de l'Histoire.30
6
Le 11 septembre, et après ?
La représentation de l'ailleurs et de l'altérité
ne saurait être que dynamique. Elle ne se fige pas : sans cesse,
les aller retour sont nécessaires, sinon ce qui est saisi, se
fige, et s'éteint dans une assignation parfois réduite
à l'invective. Il faut cependant se garder d'un irénisme
simplificateur, comme l'expose Emmanuel Goujon dans son récit,
Depuis le 11 septembre 31.
A partir d'Abidjan, en relation par l'internet avec ses amis et ses
collègues installés dans le tout-monde, il met immédiatement
en perspective l'attentat contre le World Trade Center. L'enjeu premier
est de pas perdre de vue la question centrale que les autorités
et les médias américains ne posent jamais, depuis leur
hégémonie méprisante :
Pourquoi une vie vaut-elle plus qu'une autre ?
Car, le 11 septembre, comme le rappelle une dépêche de
la F.A.O.,
plus de 35 000 enfants sont morts de faim dans le monde, comme chaque
jour de chaque année.
Ce n'est là qu'un maigre décompte de « tout
cet obituaire anonyme et incommensurable » 32.
Mais l'auteur et ses correspondants rappellent combien d'autres désastres
humains, et particulièrement survenus en Afrique, ont éveillé
des appels à la compassion qui furent moindres. Prolongeant la
question, Goujon ne cède pas à la véhémence.
Il dépasse la thèse du choc des civilisations, de Huntington
- « prophétie autoréalisatrice
» - et tente de saisir ce qui rend possible à la
fois cette ignorance et cette assurance. Le « rêve
américain », cette conséquence de la migration,
est bâti sur « le meurtre et le mensonge
» et il dessine un projet, celui de l'élection d'un peuple
composite, assuré seulement de ses certitudes matérielles.
Et c'est bien là que la faille surgit, béante, qui rend
les horreurs possibles :
Le meilleur allié des islamistes, ou de
l'anti-Occident, c'est l'Occident lui-même. Manque d'idéologie,
pas de spiritualité, pas de foi ; donc rien pour déplacer
les montagnes ; l'ère du vide, l'empire des vanités. Le
matérialisme globalisateur et ultralibéral si cher à
nos alliés d'outre-Atlantique a tué l'idéal, l'œcuménisme
et la solidarité. Où sont les nouveaux Barbares ? En Afghanistan
ou bien dans les trusts internationaux, en Chine ou au Pentagone ?
33
Il est vrai, aussi, que la vision sur l'Amérique du Nord semble
saturée par la médiocrité, même pour les
Américains. Qui n'a pas fait, de retour du Sud, les mêmes
réflexions que le géographe Jean Morrisset ?
Chaque fois que je rentre du Pacifique, ou d'ailleurs
dans le tiers-monde, et que je vois la laideur du bâti, la richesse
et la misère qui se côtoient dans l'indifférence
totale, que je découvre ces regards fuyants dans les yeux des
gens, ces autoroutes interminables qui ficellent le continent entier,
ces convois ininterrompus d'automobiles ou de camions qui fusent de
partout pour foncer vers je ne sais où, sans pouvoir ni vouloir
arrêter, ces immenses centres commerciaux qui encerclent et qui
barricadent toutes les villes, emprisonnant tous les habitants derrière
des milliers d'embuscades de pacotille : gens brisés, gens amers
qui ne peuvent plus consommer ou ne peuvent que consommer pour que le
sang continue à circuler dans leurs veines.34
Réflexion que prolonge un personnage de Passages, le roman
d'Émile Ollivier, échoué au large de la Floride
:
Ici, sous les reflets blafards des néons,
à l'ombre des gratte-ciel de béton, d'acier et de verre,
les gens ont quelque chose de triste qui laisse l'impression qu'ils
sont au terme de leur vie.35
Le retournement est majeur. Le Paradis, vanté fallacieusement
par les premiers voyageurs, n'est qu'un Purgatoire, hanté par
des âmes mortes. Dire ainsi l'ailleurs, c'est parvenir à
se déprendre, radicalement, de ce que Viviane Forrester nomme
« l'organisation paranoïaque officielle,
qui se donne pour la "réalité" »
36. Il importe dès lors,
de ne pas perdre de vue que seul le réel compte, et que le regard
doit sans cesse s'y aiguiser.
Et peut-être est-ce bien dans cette dernière figure d'une
« mise en abyme » des cultures que se révèle,
sans doute, la part la plus essentielle de ce que donnent à entendre
ces écrivains du Sud : dépassant le cadre stéréotypé
de la critique de l'ethnocentrisme - c'est toujours l'autre, on le sait,
qui est ethnocentré - ils prennent acte d'une mondialisation
toujours en œuvre, depuis l'émergence des premières
sociétés identifiées. Mais en revanche, et le récit
de Goujon est particulièrement clair à cet égard,
ce qui est en jeu est bien la critique radicale de la globalisation,
qui se réduit à la seule domination économique,
sans autre fin qu'elle-même. Il n'est pas impossible que cette
distinction soit la condition pour que les regards ne se heurtent plus
à l'incompréhension, comme celui du colonisateur et de
Mankunku, dans le roman de Dongala, mais deviennent bien la promesse
d'une possible rencontre, telle celle qui se déroule entre Goujon
et les Karen qui vivent encore à l'âge du fer, dans le
Sud-Ouest de l'Ethiopie.
Yves Chemla
Notes
1
Vialatte, Alexandre, Les Fruits du Congo, Paris, Gallimard,
l'imaginaire, 1951, p.443
2 Dongala, Emmanuel,
Le Feu des origines, Paris, 2001, le Serpent à Plumes, pp. 94-106
3 Kourouma, Ahmadou,
Monné, outrages et défis, Paris, Seuil, 1990, p.287. Ce
sont les derniers mots du roman.
4
Ouologuem,
Yambo, Lettre à la France nègre, Paris, le Serpent
à plumes, 2001. Première publication : éditions
Nalis, 1969.
5
Ouologuem,
Yambo, pp. 12-13
6
Ouologuem, Yambo, p. 124
7
Laferrière, Dany, Le Cri des oiseaux fous,
Paris, Le Serpent à plumes, , sd [|2000] p.265
8
Rakotoson, Michèle, Elle, au printemps,
Editions Sépia, Saint-Maur, 1996, pp. 7-14
9
Rakotoson, Michèle, id°, p.19
10
Rakotoson, Michèle, id°, p. 27
11
Rakotoson, Michèle, id°., p. 104
12
Ilboudo, Monique, Le Mal de peau, Paris , Le
Serpent à Plumes, 2001, p.56.
13
Viet, Vincent, Histoire des Français
venus d'ailleurs de 1850 à nos jours, Paris, Perrin, Tempus,
2004 p.225
14
Raharimanana, Jean-Luc, « Bas pays »,
in L'Europe, vues d'Afrique, Le Cavalier bleu éditions,
Le Figuier, 2004, p. 31
15
Ilboudo, Monique, op. cit., p. 109
16
Taguieff, Pierre - André, La Force du préjugé.
Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte,
Tel Gallimard, 1987 p.343
17
Diome, Fatou, La préférence nationale,
Paris et Dakar, Présence africaine, 2001, p.65
18
Diome, Fatou, id°, pp. 83-84
19
Diome, Fatou, id°, pp. 66-68
20
Diome, Fatou, id°, p.93
21
Diome, Fatou, id°, pp.69-70
22
Diome, Fatou, id°, p.78
23
L'ouvrage précédemment cité de
Vincent Viet rappelle le traitement qui leur fut infligé, notamment
en matière de pensions.
24
Diome, Fatou, p.80. Le beau recueil de textes autobiographiques
réunis par Thomas Spear, La Culture française vue d'ici
et d'ailleurs (Paris, Karthala, 2002) traduit d'une certaine façon
cette image
25
Diome, Fatou, id°, p.72
26
Tchak, Sami, Place des fêtes, Paris,
Gallimard, coll. Continents noirs, 2001, p.173
27
Abou, Sélim, L'identité culturelle,
suivi de Cultures et droits de l'homme, Beyrouth et Paris, Perrin
- presses de l'Université Saint-Joseph, 2002. Voir en particulier
le chapitre IV : « Une langue française ou des langues
française »
28
L'Europe, vues d'Afrique, Le Cavalier bleu
éditions, Le Figuier, 2004, p.29
29 L'Europe, vues d'Afrique,
Le Cavalier bleu éditions, Le Figuier, 2004, p.99
30 L'Europe, vues d'Afrique,
Le Cavalier bleu éditions, Le Figuier, 2004, pp. 163-164
31 Paris, Gallimard, coll. Continents
noirs, 2001
32 Glissant, Edouard, Faulkner,
Mississipi, Paris, Gallimard, Essai, 1998, p.300
33
Goujon, Emmanuel, Depuis le 11 septembre, Paris,
Gallimard, coll. Continents noirs, 2001, p.45
34 Morisset, Jean et Waddel, Eric,
Amériques, Montréal, L'Hexagone, Itinéraires,
2000, p.38
35 Ollivier, Emile , Passages,
Paris, Le Serpent à plumes, 1991, p.229
36 Forrester, Viviane, La Violence
du calme, Paris, Seuil, Fiction & Cie, 1980, p.16
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