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Textes divers et de circonstances

   

Titre de l'article

 

date et lieu de parution

 
  Pour Tahar Fekari

El Watan, mars 1998

 

 
 

Pour Monsieur Omar Belhouchet Directeur de la publication de El Watan 1, rue Bachir Attar Télécopie : 68 21 87

Germigny, le 15 mars 1998

Nous nous sommes retrouvés à sept, ce vendredi soir et nous voulions évoquer la mémoire de Tahar Fekari. Nous nous trouvions chez moi. Dehors, il faisait froid : un petit vent aigre balayait le jardin dans la nuit. Un feu brulait dans la cheminée.

Il y a trois semaines, Tahar était parmi nous. Les mêmes amis étaient là et l'entouraient, le temps était aussi aigre, mais la voix de Tahar nous réchauffait le coeur. Nous nous étions rencontrés deux jours auparavant, presque par hasard, chez des amis communs. Quelques échanges nous avaient suffi pour sympathiser. J'avais l'impression que nous nous reconnaissions, comme si cette rencontre était écrite depuis longtemps. Des centres d'intérêt communs nous avaient aussi rapprochés et nous avions senti très vite que l'art, l'édition, le profond attachement à nos cultures multiples, nous offraient un espace d'échanges, une sorte de lieu de discours que nous pouvions partager.

Il était arrivé chez nous dans la nuit. Son sourire le précédait : il nous avoua tout de suite sa grande joie à pénétrer dans un espace ouvert, non verrouillé, ni encerclé par des clôtures barbelées. Dans ce sourire s'éprouvaient tout de suite les qualités qui faisaient son charme : l'élégance, une certaine distance ironique, mais aussi le sentiment d'une déchirure intime, d'une blessure ouverte depuis l'enfance et que rien n'avait réussi à refermer. Pendant le dîner, une connivence s'établit entre nous : il me raconta des scènes de son enfance, il me parla de ses amis, de ceux avec qui il travaillait. Il s'ouvrit même sur ce qu'il pensait pouvoir être l'avenir de son grand pays. Il se levait, parfois, commentant tel tableau accroché au mur, appelant les autres à le commenter aussi. Il s'engagea dans une joute poétique improvisée avec tel d'entre nous. On ne pouvait rester indifférent : il savait s'engager, mais, ce qui est plus rare, il savait permettre aux autres, à ses amis, de suivre d'autres chemins que les siens. Au milieu de la nuit, il sortit, seul. Il voulait marcher dans la nuit et le silence, libre. Il resta un long moment dans le jardin, regardant le ciel, particulièrement étoilé.

Très vite, aussi, je compris ce soir là, que Tahar Fekari était un passeur, un passeur culturel : il était à l'aise dans toute la Méditerranée, et sa très grande culture n'avait cessé d'être alimentée par des sources humaines d'exception. Nombreux sont ceux qui se sont fait l'écho de sa générosité, notamment ce vendredi dernier dans El Watan. Je crois qu'il y avait d'abord chez lui une très grande bonté, une bonté en acte. C'est par elle qu'il était en relation avec le monde. Cette bonté, discrète, presque subreptice, glissait sans cesse sur son visage souriant.. Au matin, il partit. Le froid était vif, il falllut gratter le givre sur les vitres de la voiture. Nous nous promîmes de nous retrouver, et de mettre en chantier des projets communs. Nous devions nous revoir le mois prochain. Il s'éloigna de la maison à reculon, me saluant une dernière fois. Je garderai de lui l'image de ce sourire flottant un instant dans la nuit finissante, avant qu'il ne se fonde dans les ténèbres.

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09