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Textes courts

   

Titre de l'article

 

date et lieu de parution

 
  Horizons intranquilles

Inédit

 

 
 

Dalie Farah, Impasse Verlaine, Paris, Bernard Grasset, 2019

Ce roman était dans la première sélection du prix Senghor du premier roman, 2020. Cette sélection ne comportait que des textes admirables. En voici un.

 

 
 
 

S’il est des textes intranquilles, alors le roman de Dalie Farah est de ce souci. Impasse Verlaine : laissons un moment résonner ces mots que nous les prenions au pied de la lettre. C’est depuis ce lieu connoté en général négativement comme espace de confinement, comme le lieu du rien, une dead-end disent les anglais saxons, où une idée de la culture n’aurait pas cours, que se mettent en place les conditions mentales et intellectuelles d’une libération. Elle prend la forme, la force plutôt, d’un départ.

Il y a une topique des écritures coloniales et postcoloniales qui a saturé naguère les romans de formation : on raconte l’histoire d’un petit garçon qui est instruit dans l’école coloniale, où un maître le prend en charge, et qui va, l’enfant, s’éloigner peu à peu de la culture parentale, avec en général l’assentiment familial, parfois des résistances, qui constituent autant de péripéties. Il y aurait ici sans doute un lointain arrière texte qui serait Le Fils du pauvre de Mouloud Ferraoun. Quantité de textes ont mis ce modèle à mal. Azouz Begag a raconté combien la précarité du quotidien a laissé des êtres en chemin. Plus près de nous, Samira El-Ayachi a déconstruit le modèle misérabiliste, en tous les cas pour la narratrice de La Vie rêvée de Mademoiselle S.. Et Impasse Verlaine n’est pas une version au féminin de ce stéréotype.

Ce roman raconte une histoire âpre de reconduction d’une violence aveugle, irrationnelle, inguérissable en apparence et transmissible. Il existe une façon distanciée de raconter des histoires, voire une manière de détachement. Ce n’est bien souvent qu’une apparence, ou un procédé, une façon quasi goguenarde qui renvoie sur l’autre la violence qu’il, qu’elle exerce. Un effet de miroir aussi, qui dénonce en quelque sorte la littérarité du texte, mais avec finesse et subtilité, au point que le lecteur ne s’en doute pas. Ou à peine. C’est une violence on dirait étampée au fer rouge sur les corps et puis qui s’enfonce, qui vient faire corps d’une manière organique avec le corps qui la subit. Cette misère rappelée dans chaque coup donné et reçu, dans chaque gifle infligée porte un nom générique : elle s’appelle misère, faim, froid, chaleur sèche des étés des monts de Kabylie, assassinat du grand-père, gardien de troupeau, par des militaires français, effacement de son corps, de sa présence par les mêmes, viol, coups, châtiments quotidiens. C’est l’existence de la mère de la narratrice. On l’appelle Djemma, qui est le mot qui désigne la journée sainte, celui de la prière, ainsi que le lieu où elle se déroule, ce qu’on appelle « mosquée » en français. La femme, la fille la nomme Vendredi - il est vrai que la Kabylie ressemble furieusement aux limbes -, et les femmes françaises de la région de Clermond-Ferrand, Fatima. Dans mon enfance, j’ai souvent entendu des Français dire la fatma pour la bonne, c’est vrai. Et Vendredi sans en avoir conscience comme du mal absolu, entretient toute cette violence sur le corps de sa fille aînée, la narratrice, qu’elle aime pourtant. Le récit crucifiant des premières pages du roman des conditions de la naissance de la narratrice, donne le ton. Mais c’est plus qu’un ton. La distance ici ne vaut pas banalisation. Ce que cette écriture imprime au texte, on le qualifie ici de ce mot de Brecht : distanciation. Sont par ce procédé récusées identification et perception linéaire passive. Cette étrangeté a une vertu politique, on le sait : elle nous amène à réfléchir sur les circulations entre récit et roman, questionnement trop rare dans les lettres. Ces circulations intenses font la texture de nos vies et de nos lectures, c’est tout comme.
Impasse Verlaine de Dalie Farah nous fait entrer de plain pied dans cette exigence, et cette intensité. Qu’elle en soit ici remerciée.






 

 

 

  Mise à jour le : 5/10/19      
   

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