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Titre de l'article

 

date et lieu de parution

 
  Malemort

Dictionnaire des Oeuvres des littératures de langue française (Couty et Beaumarchais), Paris, Bordas, 1994

 

 
 


roman de l'écrivain martiniquais Edouard Glissant (né en 1625), publié en 1975 (Paris, Seuil).

Ecrit en un peu plus de huit ans, Malemort est le roman de la déception et du désenchantement. Aprés l'épopée aux accents parfois lyriques du Quatriéme siécle, et avant l'inventaire des traces des origines relevé dans La Case du commandeur, Glissant dresse le constat d'une société malade, coupée d'elle-même, en proie à la déraison et et à la dispersion.
L'oeuvre se présente au lecteur sous la forme de fragments oô se mélangent d'une façon désordonnée des discours, des paroles, des souvenirs. Quelques éléments de repéres sont donnés en premiére page, sous le titre de Péripéties. Les fils conducteurs de ce labyrinthe dénué de centre seraient, peut-être, la présence de trois personnages, Dlan, Médellus et Silacier, ainsi qu'une affaire de vengeance, aprés un meurtre commis par un tueur à gages.
Tontine (1940). Dlan participe à la descente d'un corps, depuis un morne.
Billons (1941). Les trois compéres se battent contre un cochon particuliérement robuste, avant de le tuer.
Salines (/1936/-1943). Un fugitif, Beautemps, est abattu.
Pays (1788) (1939). On évoque le pays, vu par le Marron des origines, Longoué (Le Quatriéme siécle), puis par les trois hommes.
L'urne (1945-1946). Des notables, commentent pendant une partie de dominos, le truquage des élections, les manipulations des urnes.
Sept minues et demie (1945). Silacier vole une voiture, sans savoir conduire. Il est rattrapé.
Tombé lévé (1788-1974). Histoire des révoltes successives, et de leur répression.
Braises (1938/1958). Médellus recherche un trésor, une jarre d'or.
Une cure de silence (1940-1948).Trois professeurs sombrent dans la déchéance.
Baillons (1962-1973). Dlan est devenu précheur. Sur l'autoroute, une course de voiture oppose des taxis.
Pays (1974). Sont évoqués, dans ce chapitre, sous forme de listes dérisoires, "le spectre des choses et des gens sans ordre ni mémoire".
Terres noires (1944, 1960, 1973). La réforme agraire est peu à peu ruinée par la société d'aménagement du territoire. Les paysans sont expropriés.
Le coutelas (1947). Silacier se bat contre un homme, pour assouvir une vengeance. Il rejoint la prison. On lui apporte son coutelas.

Malemort est donc le livre du désenchantement : une fois mises à nu, grâce au rapprochement des dates, les rouages d'une politique qui vise à refuser tout attachement à la terre, toute possibilité de culture, jusqu'aux soubassements quotidiens de celle-ci, comme la nourriture (le glossaire le fait remarquer), toutes les fictions dont sont recouvertes les Antilles s'effondrent.
Pour n'avoir pas pu, ou pas su "(se) mettre comme en marge (d'eux-mêmes) pour au moins tâcher de comprendre comment disparaissent les riviéres qui tarissent", les habitants de l'île et de toutes les Antilles (Baillons) sont devenus leur propre "caricature". La société est éclatée, assitée (Terres noires) par les aides multiples qui contraignent à la mendicité contre le travail. Pire, même, les petits notables se vantent de détourner à leur profit le fonctionnement des institutions. Si, au mileu de ce désastre, Mathieu Béluse (La Lézarde) apparait furtivement, le policier autrefois débonnaire Tigamba, s'est mué en féroce brigadier, corrompu et âpre dans la répression. Enfin, les origines elles-mêmes sont arrachées : Médellus, prostré, assiste impuissant au déracinement des trois grands ébéniers, au milieu desquels l'ancêtre primordial, le marron des origines, le Négateur de cet état, avait planté son coutelas en geste de défi contre La Roche. Le texte ne s'épanche pas sur ce désastre : "La trace perdue retrouvée perdue".
Il s'ensuit un vide des consciences, que marque par le langage des protagonistes, qui à l'opposé de celui des autres romans ouvrait, par la dérision, parfois, à un "sens particulier, inaperçu pour tout autre que celui qui a tourné en boule dans ce creux de terre froissée de hauts du nord et de sel au sud" (L'urne). Il n'est plus qu'un "concassement de mots (dans la) bouche encombrée de boues pourries de crachats blancs" (Tombé lévé). Cet abandon du sens ouvre alors les voies de la déraison qui s'empare des êtres pris désormais de crises de folies meurtriéres, ou bien enveloppés par le silence. Glissant rend compte de cette tragédie par une formule saisissante, qui éclaire singuliérement le sens de cette enquête, poursuivie, aprés La Case du Commandeur, par le patient travail sur Le Discours Antillais (Paris, Seuil, 1981) : "Nous n'avons que cette maniére de venir au monde : par le desséchement qui pourrit" (Pays).

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09