|
roman de l'écrivain martiniquais Edouard Glissant (né
en 1625), publié en 1975 (Paris, Seuil).
Ecrit en un peu plus de huit ans, Malemort est le roman de la
déception et du désenchantement. Aprés l'épopée
aux accents parfois lyriques du Quatriéme siécle,
et avant l'inventaire des traces des origines relevé dans La
Case du commandeur, Glissant dresse le constat d'une société
malade, coupée d'elle-même, en proie à la déraison
et et à la dispersion.
L'oeuvre se présente au lecteur sous la forme de fragments oô
se mélangent d'une façon désordonnée des
discours, des paroles, des souvenirs. Quelques éléments
de repéres sont donnés en premiére page, sous le
titre de Péripéties. Les fils conducteurs de ce labyrinthe
dénué de centre seraient, peut-être, la présence
de trois personnages, Dlan, Médellus et Silacier, ainsi qu'une
affaire de vengeance, aprés un meurtre commis par un tueur à
gages.
Tontine (1940). Dlan participe à la descente d'un corps,
depuis un morne.
Billons (1941). Les trois compéres se battent contre un
cochon particuliérement robuste, avant de le tuer.
Salines (/1936/-1943). Un fugitif, Beautemps, est abattu.
Pays (1788) (1939). On évoque le pays, vu par le Marron
des origines, Longoué (Le Quatriéme siécle), puis
par les trois hommes.
L'urne (1945-1946). Des notables, commentent pendant une partie
de dominos, le truquage des élections, les manipulations des
urnes.
Sept minues et demie (1945). Silacier vole une voiture, sans
savoir conduire. Il est rattrapé.
Tombé lévé (1788-1974). Histoire des révoltes
successives, et de leur répression.
Braises (1938/1958). Médellus recherche un trésor,
une jarre d'or.
Une cure de silence (1940-1948).Trois professeurs sombrent dans
la déchéance.
Baillons (1962-1973). Dlan est devenu précheur. Sur l'autoroute,
une course de voiture oppose des taxis.
Pays (1974). Sont évoqués, dans ce chapitre, sous
forme de listes dérisoires, "le spectre des choses et des
gens sans ordre ni mémoire".
Terres noires (1944, 1960, 1973). La réforme agraire est
peu à peu ruinée par la société d'aménagement
du territoire. Les paysans sont expropriés.
Le coutelas (1947). Silacier se bat contre un homme, pour assouvir
une vengeance. Il rejoint la prison. On lui apporte son coutelas.
Malemort est donc le livre du désenchantement : une fois
mises à nu, grâce au rapprochement des dates, les rouages
d'une politique qui vise à refuser tout attachement à
la terre, toute possibilité de culture, jusqu'aux soubassements
quotidiens de celle-ci, comme la nourriture (le glossaire le fait remarquer),
toutes les fictions dont sont recouvertes les Antilles s'effondrent.
Pour n'avoir pas pu, ou pas su "(se) mettre comme en marge (d'eux-mêmes)
pour au moins tâcher de comprendre comment disparaissent les riviéres
qui tarissent", les habitants de l'île et de toutes les Antilles
(Baillons) sont devenus leur propre "caricature". La société
est éclatée, assitée (Terres noires) par les aides
multiples qui contraignent à la mendicité contre le travail.
Pire, même, les petits notables se vantent de détourner
à leur profit le fonctionnement des institutions. Si, au mileu
de ce désastre, Mathieu Béluse (La Lézarde)
apparait furtivement, le policier autrefois débonnaire Tigamba,
s'est mué en féroce brigadier, corrompu et âpre
dans la répression. Enfin, les origines elles-mêmes sont
arrachées : Médellus, prostré, assiste impuissant
au déracinement des trois grands ébéniers, au milieu
desquels l'ancêtre primordial, le marron des origines, le Négateur
de cet état, avait planté son coutelas en geste de défi
contre La Roche. Le texte ne s'épanche pas sur ce désastre
: "La trace perdue retrouvée perdue".
Il s'ensuit un vide des consciences, que marque par le langage des protagonistes,
qui à l'opposé de celui des autres romans ouvrait, par
la dérision, parfois, à un "sens particulier, inaperçu
pour tout autre que celui qui a tourné en boule dans ce creux
de terre froissée de hauts du nord et de sel au sud" (L'urne).
Il n'est plus qu'un "concassement de mots (dans la) bouche encombrée
de boues pourries de crachats blancs" (Tombé lévé).
Cet abandon du sens ouvre alors les voies de la déraison qui
s'empare des êtres pris désormais de crises de folies meurtriéres,
ou bien enveloppés par le silence. Glissant rend compte de cette
tragédie par une formule saisissante, qui éclaire singuliérement
le sens de cette enquête, poursuivie, aprés La Case
du Commandeur, par le patient travail sur Le Discours Antillais
(Paris, Seuil, 1981) : "Nous n'avons que cette maniére
de venir au monde : par le desséchement qui pourrit" (Pays).
|
|