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Etudes haïtiennes

   

Titre de l'article

 

date et lieu de parution

 
  Au Pipirite chantant

Dictionnaire des Oeuvres des littératures de langue française (Couty et Beaumarchais), Paris, Bordas, 1994

 

 
 

Au Pipirite chantant Recueil de poèmes de l'écrivain haïtien Jean Métellus (né en 1937), publié en 1978 (Les Lettres nouvelles, Paris).

Installé à Paris depuis 1959, Jean Métellus publie dans diverses revues des poèmes écrit quotidiennement. Confronté à la double fracture de l'origine africaine et de l'exil, il interroge la réalité subie par les Haïtiens et la mémoire de leur histoire, et retrouve dans cette quête, les traces de ses propres souvenirs.

Le recueil s'ouvre sur une première partie dans laquelle le poète rend compte de sa course pour retrouver "l'horizon maternel du matin", ainsi que les mots qui lui permettront de chanter Haïti. Il parvient rapidement à évoquer, dans " Rires et larmes d'un enfant noir " et " Pour un écolier haïtien ", la misérable condition de son peuple, le dévouement des mères, avant de consacrer un texte à " La Mort en Haïti ". Mais c'est dans le long poème, " Au Pipirite chantant ", qui donne son titre au recueil, que se manifeste, avec une rare puissance, la présence de l'île, à la fois magnifiée et honnie pour les malheurs que subissent ses enfants. Se présentant comme un hymne par lequel les voix paysannes interpellent les "dieux d'Afrique", ainsi que le soleil, et crient leur impuissance devant tant de misères, le poème devient le lieu privilégié dans lequel le poète ressuscite sa propre enfance, et peut, à ce titre, se faire le porte parole de la culture haïtienne, marquée par la nuit de l'anxiété et l'espoir d'un aube annoncée. La dernière partie du recueil revient, avec un écriture plus mesurée, au constat brutal de la misère (Cendres de la nuit, Pas d'échéance), s'arrêtant sur un élément symbolique du paysage (Le Cocotier). Il explore les limites du langage poétique par la description de couleurs (Le Violet, l'Indigo, le Noir), des sens, avant de reprendre le chant du Matin, consacré à la conquête de l'écriture, et de la Terre, Haïti, vouée au pillage et à la désolation. " Philtre amer " chante une dernière fois le découragement et la ferveur du poète à l'égard de l'île, avant de donner voix au dieu des combats, Ogoun et à la Guerre.

Placé sous la lumière de l'aube -le pipirite est réputé pour être l'oiseau qui annonce le jour, et l'expression est usuelle en Haïti-, le recueil de Métellus s'articule autour d'une contrainte double : chanter la terre natale, perçue par les sens, déployée dans le souvenir, l'histoire et la culture, et déplorer son effondrement, sa misère, son acculturation, signifiée par le retrait de ses "dieux jadis précieux" qui "s'éloignent dans le silence noir de la méditation" (Ogoun). Il faut alors au poète une langue qui puisse prendre en charge une telle contradiction, qui puisse s'emparer de cet espace multiple sans le déposséder, en lui dédiant une parole consciente de ses enjeux : le poète doit ancrer une vérité où l'anecdote côtoie le regard éloigné jeté sur un objet (Haïti) qu'aucun discours ne parvient à habiter sans le dénaturer. Ainsi, toute la première partie est marquée par la confrontation, désirée et reculée, du poète et de l'île: "Haïti, Haïti / J'attends pour toucher / Mes mains s'étendent pleines de mots ", "A quoi comparer tous ces mots qui circulent ?". Il lui faut remonter à l'origine de ses mots, en comprendre le soubassement (Rires et larmes d'un enfant noir, Pour un écolier haïtien) avant d'en faire l'épreuve (La mort en Haïti).
Mais c'est essentiellement dans " Au Pipirite chantant " que le poète prend la mesure de son chant. En dépliant l'histoire d'Haïti à partir de sa composante sociale essentielle, la paysannerie, Métellus offre au lecteur français, son destinataire privilégié, un espace poétique ouvert aux mythes, mais également à toutes les forces de la nature. Ce sont les plantes qui parlent, tel l'arbre à pain, ou bien la Terre, le Soleil. C'est dans le souvenir de la Traite, de la déraison raciste blanche qu'il puise cette énergie qui lui permet d'invoquer les Dieux, de dresser un constat pitoyable de l'état d'Haïti, de la folie qui s'empare de ses habitants et qu'il faut bien arriver à nommer. Haïti vouée au silence devient dès lors un espace ouvert à l'aube de la parole que "le visitant des vocables" peut enfin chanter et non plus seulement décrire. Le poète séjourne ainsi dans le souffle d'une langue neuve, inspirée et fiévreuse, marquée fréquemment par le changement de rythme, étendu à la maîtrise du verset.

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09