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Recueil de poèmes de l'écrivain malgache Jean-Joseph Rabearivelo
(1901 ou 1903-1937), publié en 1935 (Tunis, Editions des Mirages).
Considéré à Madagascar comme une gloire nationale,
Rabéarivelo semble encore un écrivain largement méconnu.
De son oeuvre en malgache et en français, souvent dispersée
et inédite, on s'accorde en général à distinguer
deux périodes. Jusque vers 1930, elle est marquée par
une écriture parnassienne et une interrogation sur l'origine,
ainsi que sur le déchirement provoqué par l'invasion coloniale.
A partir de L'Interférence, (écrit vers 1929, publié
en 1987, Hatier), Rabéarivelo accentue son intérêt
pour les littératures malgaches et les hain teny (Vieilles
Chansons des pays d'Imérina, Tananarive, 1939), élaborant
sa propre poétique, tout en découvrant le surréalisme.
Il montre l'ambition de devenir le grand poète de son île.
Mais le chagrin consécutif à la mort de sa fille en 1933,
l'impossibilité à résoudre ses contradictions,
le sentiment exacerbé de la déchéance et de l'exil,
les difficultés matérielles et la maladie l'acculent au
suicide. Ce n'est qu'après sa mort qu'il devient "une
sorte de héros national, de drapeau et aussi de ferment spirituel"
(Robert Boudry).
C'est à une exploration des avatars linguistiques et poétiques
de la nuit que se voue la démarche poétique de l'auteur.
Commencée par une reconnaissance des confins du jour et de la
nuit (1), cette exploration aborde un univers azuréen, dédié
à la renaissance incessante (2,3), et rendu manifeste par le
poète (4). La vocation poétique s'y inscrit par la présence
des êtres aimés (5). Apparaissent ensuite des transformations
métaphoriques de la nuit : elle devient oiseau (6), algues ténébreuses
(7), végétation où se confondent les paroles religieuse
et la poésie (8), cultivée par des "semences sidérales"
(9). C'est alors que se lève, invoqué par la nuit l'arbre-poète
qui réalise les noces poétiques (10) marquées par
le souci de l'élévation (11) gage d'un accomplissement
: l'action poétique doit permettre d'accueillir les réprouvés
(12) dans l'éternité (13). Surgie de la mer (14), la nuit
proclame au poète son présent éternel (15), tandis
qu'il s'interroge sur le devenir de sa poésie (16) et assiste
à une nouvelle métamorphose de la nuit, en vitrier nègre
souffrant (17). Le poète est alors interpelé : ne se leurre-t-il
pas en confondant le spectacle de l'harmonie de la nature avec l'action
poétique (18)? Mais il apprend néanmoins que la postérité
le reconnaitra (19), et même s'il est pris par le doute (20),
il comprend la nuit, antérieure à toute création
(21). C'est que la démarche poétique doit l'amener à
inverser les propositions courantes : le poète-pécheur
doit rendre à la mer les poissons saisis dans l'azur (22), par
des filets aussi fins que ceux d'une toile d'araignée (23). Il
doit également s'interroger sur ce qu'il ramène (24).
Dès lors, il est confronté à une géographie
énigmatique dont il ne peut que traduire les données (25)
et qu'il célèbre dans la joie malgré sa quotidienne
disparition (26) qui la rapproche de l'essence de la vie, représentée
par le parfum des fleurs (27). Mais cette "quête d'un rêve
au bout du monde" n'offre-t-elle pas le risque de la dépossession
(28) ? Le poète prend néanmoins le risque de suivre sa
voie (29), et tel un Icare nocturne, se perdre dans l'azur, comme gage
d'un lien réel entre les humbles feux de la terre et les étoiles
(30). Commençant par une évocation de la naissance du
jour et se terminant par celle de la nuit, l'oeuvre déroule sans
repos cette thématique tout au long de variations métaphoriques
qui se superposent : la nuit se présente ainsi successivement
comme la peau d'une vache noire qui sera remplacée par "les cornes
du veau délivré" (3), "un oiseau sans couleur et sans
nom" (6), un "désert" (8), une femme "dont les yeux sont des
prismes de sommeil" (14), un "vitrier nègre" (17), jusqu'au point
oùelle devient indicible et ne peut plus être atteinte
que par la périphrase. "Celle qui naquit avant la lumière"
(21), la "belle âme de ce-qui-change"(26) fonde désormais
l'espace de l'éternité pour le poète qui développe
ce qu'on peut appeler une mystique de la nuit. Cependant, cet espace
fondé par l'enchâssement et le miroitement des métaphores
d'un poème à l'autre, ouvre aussi une polysémie
généralisée : ainsi, l'approche de la nuit dit
aussi l'approche du secret de la création poétique, et
toute l'oeuvre se déploie dans ce voisinage au plus près,
désigné par une série de variations symboliques,
mais aussi par l'appel à une filiation, qui part de Virgile et
"qui va / jusqu'à la poitrine de Tagore, / de Whitman et de Jammes
/ qui remplacent le Christ ". En se dressant ainsi, tel un arbre, Rabearivelo
entame un dialogue avec la nuit, et passe du on au il, du il au je et
finalement du je au nous des "laboureurs de l'azur". Mais ce "triomphe
certain" (30) dénoue aussi les liens qui le rattachent dans son
existence à la terre malgache, et c'est dans son exil, depuis
son tombeau érigé dans l'azur (19), ou comme un arbre
sans racine (10) qu'il rayonne.
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