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Recueil
de poèmes de l'écrivain malgache Jacques Rabemananjara,
publié en 1972 (Paris, Présence africaine).
Après la poésie du combat, représentée par
Antsa (1956), Lamba (1956) et Antidote (1961),
trois recueil dans lesquels il s'était démarqué
de l'esprit d'imitation classique de ses premiers recueils, Rabemanajara
s'empare, après dix ans de silence et d'exil, de la forme rigoureuse
du sonnet, célébrant dans un même élan les
mystères de la communion avec l'aimée et la grande île
natale.
Incantation. Le poète s'adresse à l'aimée
(1), décrit ses yeux, ouverts sur la pureté, l'éternel,
et le divin (2) au milieu de secousses cosmiques et telluriques, marquées
par l'évocation du volcan (3). L'apaisement vient avec le soir
et le soleil (4) et se prolonge après l'extase (5), qui rappelle
le souvenir du Paradis (6). L'aimée revêt la figure de
"l'Initiée".
Akanin'ny Nofy. Les amants entrent dans une quête (7).
Ils vont vivre dans une compréhension immédiate du monde
(8). Mais ils doivent faire accepter leur différence, "conjurer
les Aïeux et la Race" : l'aimée devra être
accueillie par l'île. Ils s'y préparent dans la nuit, la
paix et la forêt (10), et rejoignent, dans un choc volcanique,
l'éternité (11), pour sortir du temps (12). Envoûtement.
L'amour apparaît d'essence divine (13), ouvert à la nature
(14), dans la jubilation et l'émerveillement (14 bis). La communion
des amants abolit toute frontière (15).
Nosy Mangabé. C'est l'accueil de l'aimée au pays
natal (16), et des noces mystiques auprès des A„eux. L'amante
devient alors une figure de la déité (16 bis) qui émeut
la terre d'accueil et rend hommage à "l'Elue" (17). Dès
lors se réalise le lien entre le monde des morts et le ciel (18),
puisque la présence de l'Elue est une promesse de concorde. L'amant
peut lui décrire la géographie symbolique et initiatique
de l'île (19) qui porte en elle le souvenir des origines et du
Paradis.
Charmes. Les amants se préparent enfin à revivre
cette "naissance du monde" dans le spectacle du soir et de la houle
(20) : c'est le temps du "Grand Défi" (21-24) et de l'"apogée".
Les amants sont désormais hors du temps (25 Anniversaire), et
leur amour reconnu s'épanouit "contre la loi des castes" (26).
Lac Tritriva. Les poèmes de ce chapitre, daté de
Paris, célèbrent, dans une atmosphère de légende
(27), dans le rappel de mythes (29), la geste magique et réconciliatrice
de l'Amante.
Délices. Dans une ambiance crépusculaire, le poète
rend compte de la fusion entre les amants d'origines différentes
(30), confrontés à leurs rêves : ils sont désormais
exemplaires (31).
C'est d'abord l'art du poète lui même qui traverse une
série d'ordalies : loin de se limiter au souvenir des "références
apprises", comme le soutient Robert Mallet dans sa préface, l'emploi
du sonnet, permet à Rabemananjara de prendre en compte dans son
écriture l'enjeu même d'un tel texte : la sur-codification
- et les nombreuses connotations qu'elle supporte - d'une telle forme
dans l'espace littéraire français a pour pendant, dans
la fable du texte, les nombreuses références à
l'espace culturel malgache. Si l'objet du recueil est de faire oeuvre
de synthèse, de tenter une fusion d'éléments épars,
rendus discontinus par les secousses de l'histoire, tels que les évoquaient
les recueils précédents et l'activité politique
du poète, alors l'emploi du sonnet semble un choix plutôt
heureux : son caractère inactuel met d'autant plus en valeur
l'aboutissement du recueil. En effet, la création d'un mythe
poétique, à une époque de disparition des Grands
Récits est déjà en soi un phénomène
exemplaire. Rabemananjara revendique ainsi son appartenance à
une histoire poétique qui va de Ronsard à Valéry,
mais réclame en même temps le renouvellement de cette histoire
- tarie peut-être avec les derniers textes poétiques d'Aragon
- et son ouverture à d'autres cultures. Elle lui permet d'apporter
quelques nuances à cette forme, tant sur le plan de la rime que
sur celui de la présentation typographique. Mais elle lui offre
surtout de maîtriser l'expression précieuse de l'hyperbole,
qu'il manie jusqu'à l'épuisement de l'origine de la parole
: "Nulle frontière autour et le domaine
est tel / qu'en face l'infini n'est qu'un simple archipel / dont la
fine échancrure enfle d'un flot de sève." Cette
expression hyperbolique n'a pas cependant pour fonction de masquer les
rapports amoureux : si le détail de la chair -la "nuque"
(4)- apparaît rarement, la montée du désir, la communion
des corps participe d'une fusion à laquelle prennent part tous
les éléments du monde, des mythes et des sociétés,
afin que "sur le fil interminable des caresses / monte du fond des temps
la vie en flots puissants". Mais ces amants sont néanmoins confrontés
à leur propre trouble, à une atmosphère inquiète,
à une nature agitée d'avalanches, d'ouragans de feu, de
vents démentiels. L'île, avant l'accueil de l'aimée,
exige l'intercession du poète. Après leur départ,
ils ne gardent plus que le souvenir d'un rêve. Il demeure ainsi
une césure latente. Dans le dernier recueil, Thrènes
d'avant l'aurore : Madagascar (1985), cette césure devient
une véritable béance où s'engouffrent la souffrance
d'un peuple, la honte et la déchéance qu'il subit.
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