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  Tit-Coq, de Gratien Gélinas

Dictionnaire des Oeuvres des littératures de langue française (Couty et Beaumarchais), Paris, Bordas, 1994

 

 
 

pièce en trois actes de Gratien Gélinas (Canada, 1909), représentée pour la première fois le 22 mai 1948 à Montréal (Théâtre du Nouveau Monde).

Saluée comme l'acte de naissance d'un véritable théâtre populaire québécois, Tit-Coq a pour origine les "Fridolinades" dans lesquelles, dès 1937, à la radio, puis dans des revues de music-hall, Gratien Gélinas confronte un personnage ridicule et pathétique à l'actualité. Dépassant la chronique satirique des événements contemporains, Tit-Coq parvient à remettre en question d'étroites certitudes sociales fondées sur le recours aux discours de la religion.

I Dans une caserne, en 1942, le commandant et l'aumônier demandent à Jean-Pierre Désilets d'emmener Tit-Coq, né de parents inconnus, passer les fêtes de Noël dans sa famille (1). Malgré sa timidité, le jeune homme est mis à l'aise par tous (2). De retour à la caserne, il avoue à l'aumônier qu'il est amoureux de Marie-Ange Désilets (3), invitée à danser une semaine plus tard (4). Lors de la fête de Marie-Ange, Tit-coq lui offre un "Kodak", tandis qu'elle lui remet un album de photos de famille. Les soldats apprennent leur départ pour l'Europe (5). II Sur le pont du bateau, Tit-Coq décrit à l'aumônier son idéal de foyer conjugal (1). Pourtant le temps de la séparation est long, et Marie-Ange languit (2). De son côté, Tit-Coq commence à douter (3). Marie-Ange est en effet poussée par sa famille dans les bras d'un riche soupirant (4) qu'elle finit par épouser (5). Dans une taverne anglaise où il boit en compagnie d'une prostituée, Tit-Coq clame sa rage et son désespoir à l'aumônier (6). III De retour au pays, Tit-Coq exige de rencontrer Marie-Ange (1). Ils sont décidés à partir, quand l'aumônier leur démontre que leur rêve est maintenant détruit. Tit-Coq comprend que ses enfants seraient illégitimes. Il se séparent.

A partir de l'événement fondamental de sa rencontre avec Marie-Ange, Tit-coq est soumis à des confrontations qui l'obligent - et lui permettent- de rendre compte de ses expériences, de ses désirs, de ses doutes. Car jusque là, sa batardise a été à la fois un repoussoir et un refuge. "Avant toi, dit-il à Marie-Ange, pas une femme au monde s'était aperçue que j'étais en vie" (III,2). Par cette naissance à l'amour, il tente d'annuler la première, la fausse. Il devient même un temps le frère idéal de Jean-Pierre. Pourtant, ce gain d'existence ne s'acquiert pas sans un déni constant et fatal : Tit-coq ne peut échapper à son absence d'origine. Il est partagé entre l'obsession de la légitimité, articulée autour d'un code moral exigeant destiné à faire disparaître la souillure, la "crasse" (I,3) et la prégnance du désir, source possible d'une origine nouvelle. Mais confronté à une société dont les valeurs et les mots d'ordre des siècles passés reposent sur la famille, l'armée et l'Eglise, il est de toutes façons considéré comme un de "ces enfants directement conçu dans le vice" (III,2). Sa parole enfin n'est d'aucune force : l'aumônier après lui avoir permis de voir le bonheur briller au loin, lui en révèle aussi l'impossibilité.

Ainsi Tit-coq met-il en scène la crise identitaire et sociale que traverse la société canadienne-française de l'après-guerre. Il le fait sur le mode du réalisme, en donnant aux dialogues des personnages les tonalités propres au français québécois, sans verser dans le pittoresque ni la caricature. Le succès populaire de ce réalisme montrait pourtant que l'enjeu était de taille: il fallait quitter une marginalisation historique - dont la batardise est emblématique- fondée sur de multiples soumissions et parvenir à être présent et actif dans une réalité enfin apprivoisée. Le départ de Tit-coq, désemparé "comme un homme qui part pour un long voyage" (III,2) suggérait, malgré l'échec, la démarche fondatrice d'une société qui ne fût pas rétive au bonheur.

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09