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pièce en trois actes de Gratien Gélinas (Canada, 1909),
représentée pour la première fois le 22 mai 1948
à Montréal (Théâtre du Nouveau Monde).
Saluée comme l'acte de naissance d'un véritable théâtre
populaire québécois, Tit-Coq a pour origine les "Fridolinades"
dans lesquelles, dès 1937, à la radio, puis dans des revues
de music-hall, Gratien Gélinas confronte un personnage ridicule
et pathétique à l'actualité. Dépassant la
chronique satirique des événements contemporains, Tit-Coq
parvient à remettre en question d'étroites certitudes
sociales fondées sur le recours aux discours de la religion.
I Dans une caserne, en 1942, le commandant et l'aumônier demandent
à Jean-Pierre Désilets d'emmener Tit-Coq, né de
parents inconnus, passer les fêtes de Noël dans sa famille
(1). Malgré sa timidité, le jeune homme est mis à
l'aise par tous (2). De retour à la caserne, il avoue à
l'aumônier qu'il est amoureux de Marie-Ange Désilets (3),
invitée à danser une semaine plus tard (4). Lors de la
fête de Marie-Ange, Tit-coq lui offre un "Kodak", tandis qu'elle
lui remet un album de photos de famille. Les soldats apprennent leur
départ pour l'Europe (5). II Sur le pont du bateau, Tit-Coq décrit
à l'aumônier son idéal de foyer conjugal (1). Pourtant
le temps de la séparation est long, et Marie-Ange languit (2).
De son côté, Tit-Coq commence à douter (3). Marie-Ange
est en effet poussée par sa famille dans les bras d'un riche
soupirant (4) qu'elle finit par épouser (5). Dans une taverne
anglaise où il boit en compagnie d'une prostituée, Tit-Coq
clame sa rage et son désespoir à l'aumônier (6).
III De retour au pays, Tit-Coq exige de rencontrer Marie-Ange (1). Ils
sont décidés à partir, quand l'aumônier leur
démontre que leur rêve est maintenant détruit. Tit-Coq
comprend que ses enfants seraient illégitimes. Il se séparent.
A partir de l'événement fondamental de sa rencontre avec
Marie-Ange, Tit-coq est soumis à des confrontations qui l'obligent
- et lui permettent- de rendre compte de ses expériences, de
ses désirs, de ses doutes. Car jusque là, sa batardise
a été à la fois un repoussoir et un refuge. "Avant
toi, dit-il à Marie-Ange, pas une
femme au monde s'était aperçue que j'étais en vie"
(III,2). Par cette naissance à l'amour, il tente d'annuler la
première, la fausse. Il devient même un temps le frère
idéal de Jean-Pierre. Pourtant, ce gain d'existence ne s'acquiert
pas sans un déni constant et fatal : Tit-coq ne peut échapper
à son absence d'origine. Il est partagé entre l'obsession
de la légitimité, articulée autour d'un code moral
exigeant destiné à faire disparaître la souillure,
la "crasse" (I,3) et la prégnance
du désir, source possible d'une origine nouvelle. Mais confronté
à une société dont les valeurs et les mots d'ordre
des siècles passés reposent sur la famille, l'armée
et l'Eglise, il est de toutes façons considéré
comme un de "ces enfants directement conçu
dans le vice" (III,2). Sa parole enfin n'est d'aucune force :
l'aumônier après lui avoir permis de voir le bonheur briller
au loin, lui en révèle aussi l'impossibilité.
Ainsi Tit-coq met-il en scène la crise identitaire et
sociale que traverse la société canadienne-française
de l'après-guerre. Il le fait sur le mode du réalisme,
en donnant aux dialogues des personnages les tonalités propres
au français québécois, sans verser dans le pittoresque
ni la caricature. Le succès populaire de ce réalisme montrait
pourtant que l'enjeu était de taille: il fallait quitter une
marginalisation historique - dont la batardise est emblématique-
fondée sur de multiples soumissions et parvenir à être
présent et actif dans une réalité enfin apprivoisée.
Le départ de Tit-coq, désemparé "comme
un homme qui part pour un long voyage" (III,2) suggérait,
malgré l'échec, la démarche fondatrice d'une société
qui ne fût pas rétive au bonheur.
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