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Ecrire

La Question de l'autre dans le roman haïtien contemporain

 

Analyser la représentation de la société dans le roman haïtien

 

Les effets de la diglossie

 
       

Il est nécessaire de prendre en compte la question de la diglossie dès les fondations de l'Etat d'Haïti. En 1804, en effet, le pays tente de faire entendre sa voix dans le concert des nations et l'écriture est encore le premier support de la communication formelle entre les états. Il paraît impossible de se faire entendre autrement qu'en français pour des raisons qui tiennent notamment aux menées importantes des anciens colons dans l'ancienne métropole, mais aussi pour des raisons qui tiennent à l'état du créole. Ce dernier n'est pas considéré comme une langue et ne dispose pas d'une orthographe. L'objectif primordial était de défendre Haïti, et les intellectuels haïtiens ne pouvaient écrire qu'en français. Le souci premier de ces intellectuels n'était pas de communiquer avec la masse du peuple mais de se faire plutôt les porte-parole de ce peuple dans des discours destinés, de toute évidence, à un public étranger (5). Cette démarche a induit une situation qui a longtemps perduré et qui dure encore. Cette littérature semble ainsi souvent avoir pour destinataires non pas ceux dont elle parle, mais ceux qui ne sont concernés par la vie haïtienne que de façon marginale. Cette prédominance tragique de la fonction de représentation sur le pouvoir du sujet représenté, comme l'explique Daniel Maximin (6) a longtemps déterminé une attitude de représentation à l'égard d'une Europe et d'une France elles-mêmes plus mythiques que réelles. Les modèles qui ont servi de références n'étaient bien souvent que des représentations à usage colonial et n'avaient que peu de rapport avec la réalité française.
Pire, même, les images européennes de la réalité haïtienne ont servi aux intellectuels haïtiens à modeler la représentation de leur propre réalité. Mais ce contresens général n'aurait pas porté à conséquence si ce qui était en jeu à travers la quête de l'identité haïtienne n'avait pas été la recherche d'une légitimité politique, et l'écriture, dans ce contexte, s'assimile souvent à une recherche de la prise du pouvoir.
A l'évidence et comme première conséquence de cette finalisation de l'écriture, la représentation sociale a été rapidement saturée de mythes de toutes sortes. En somme, dans le miroir des yeux de l'autre, ce n'est même pas l'autre vrai qui se montre, que l'on voit, ou parfois que l'on cherche. Car ce miroir a bien souvent servi de légitimation à toute quête illégitime du pouvoir délivrée du souci de la représentation vraie des opprimés, ou bien à tout détournement du pouvoir, au nom de la représentation symbolique des opprimés muets. Et plus le détenteur du pouvoir est illégitime, plus il s'érige en représentant de la race (noire) ou de la condition sociale (esclave) poursuit Maximin (7). C'est dire que dans la tension entre la mimésis et la fable, dans le roman, ce sont les mythes qui l'emportent, et les destinataires haïtiens de ces romans ne peuvent donc s'y reconnaître.
L'écriture et la lecture ne constituent donc pas en Haïti les éléments d'une culture commune à tous, pour reprendre les termes de Yannick Lahens (8) et ne rassemblent encore que les traces d'une colonisation intérieure qui rend impossible le rapprochement entre les lettrés et un peuple fantasmatique et mythique, dont la culture est purement et simplement niée, parce que considérée comme "obscurantiste". Il faut de surcroît prendre en compte les conditions matérielles d'existence de cette littérature. Elles sont liées à l'étroitesse des revenus de la majorité des Haïtiens : un livre demeure un objet de luxe, le public réel -lisant le français- est extrêmement réduit. Cette étroitesse du marché a longtemps empêché la prise en compte de la littérature haïtienne par l'Instruction publique, par exemple. L'institution littéraire est donc prise dans un cercle vicieux : méconnue, elle a peu de public en Haïti. Elle ne trouve pas d'éditeur, mais seulement des imprimeurs. Les livres sont édités à compte d'auteur et coûtent donc un prix élevé. La perspective de voir une littérature en haïtien lisible par toute la population émerger s'avère de ce fait plutôt réduite (9), même si, selon Yannick Lahens, des formes nouvelles d'édition émergent ces dernières années... On songe, par exemple, au travail soutenu des éditions Mémoires.

Notes
5 Maximilien Laroche, La Littérature haïtienne. Identité, langue, réalité, Ottawa, les Editions Léméac, 1981, p.21.
6 Dans "La littérature, "une île lumineuse dans la nuit noire de la silencieuse nuit", in La République haïtienne, Etat des lieux et perspectives, Paris, Actes du colloque de l'ADEC, sous la direction de Gérard Barthélemy et Christian Girault, ADEC-Karthala, Collection "Hommes et Sociétés", 1993, p.399.
7 Daniel Maximin, op.cit., p.400.
8 Yannick Lahens, "La promotion du livre et de l'écrit", in La République haïtienne, ..., pp. 449-465.
9 Hoffmann, Le Roman haïtien. Idéologie et structure, Sheerbrooke, Editions Naaman, pp.42-81.

 

bibliographie

 

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