www.ychemla.net

 

Ecrire

Etudes postcoloniales

   

Titre de l'article

 

date et lieu de parution

 
  « parcimonie d'un désir, étroitesse d'un rêve »

Inédit

 

 
 

Nos cirques de pierre ont vu décroître le pas de l'homme sur la scène.
Saint-John Perse, Amers, III, Les tragédiennes sont venues

« Et nous autres vieux rêveurs, quelle tâche originelle avons-nous lavée sur la face humaine depuis quatre ou cinq mille ans que nous jaunissons avec nos livres ? » demande Philippe Strozzi, dans Lorenzaccio. Chaque tragédie de l'histoire nous renvoie un miroir de ce peu d'efficacité des discours, opposés à ces puissances inaltérées installées au cœur des rapports de force. Il y a d'un côté cette longue conquête du discours de la démocratie, d'une libération sociale qui tiendrait ses promesses, et qui a ses repères politiques, sociaux et culturels ; de l'autre la permanence de la destruction brutale et souvent sans appel de ce qui est, l'humanité. Les deux, bien souvent, étroitement mêlés. On se souvient par exemple ici de la phrase de Levinas :
Que le marxisme ait tourné au stalinisme, c'est la plus grosse offense à la cause de l'humain, car le marxisme portait un espoir de l'humanité, c'est peut-être un des plus grands chocs psychologiques pour l'Européen du XXe siècle.
1
Les guerres récentes prennent elles aussi la forme d'une offense à l'humanité et qui rejoint l'Irréparable. Il y a un décalage constant entre l'énoncé des aspirations, le vocabulaire saturé d'un humanisme trompeur, et la réalité des conflits.
Et pourtant les ouvrages ne manquent pas, qui mettent en crise les contradictions multiples et témoignent de cette complexité. Les essais, les livres d'histoire tentent de nous mettre en mesure de comprendre, mais nous assistons depuis nos déficiences, au déferlement des puissances sur des populations peu à peu installées dans la terreur et jetée dans la stupeur et l'hébétude. Nous défilons, manifestant par là notre opposition, et rejoignons ces communautés temporaires qui se redressent dans le refus partagé. Mais ces fondations successives et limitées ne se dressent pas pour tous, il faut le reconnaître. Tous les théâtres de meurtre n'intéressent pas de façon égale les citoyens. Et puis, la manifestation n'a pas pour effet de faire cesser les pluies de missiles ni les exactions. Chacun ici prendra l'exemple qui lui convient. Alors, on en revient à l'écrit, tant l'image est déformée, suspecte de détournement, de ce parti pris qui occulte ce qui n'est pas placé immédiatement sous l'objectif. Mais l'écrit a quelque chose de rassurant dans sa linéarité, dans son caractère discipliné et ordonné. Ou bien alors, l'écrit s'achève dans le cri forcément haineux, qui ne peut pas être entendu. L'écriture de la fiction se voit atteinte de cette crise : le roman est une construction du sens, qui fait sens dans des ensembles de plus en plus vastes, comme le suggère la métaphore de l'image dans le tapis, de James
2. Les livres entrent en résonance les uns avec les autres, et c'est par là que se poursuit la construction de discours qui nous mettent à même de prendre en charge l'horreur, c'est-à-dire finalement de l'admettre comme un bien en partage. Or, cette rationalité rassurante participe de la même démarche qui fait de la guerre moderne ce qu'elle est : une opération de destruction massive dans laquelle l'humanité est détruite, voire effacée des regards de ceux qui auraient pu la voir. Il semblerait que nous toucherions là un triste paradoxe : le travail de la rationalité congédierait non seulement « la raison dans le monde mais le monde de la raison »3.
L'occidentalisation du monde, cette marque apposée aux discours par une rationalité à la fois douteuse d'elle-même mais aussi assurée dans ses résultats, a modifié considérablement l'espace des représentations. Les techniques diverses, radicalement différentes de celles qui ont été transmises depuis le néolithique, saturent le champ de la vie quotidienne depuis près d'un siècle, c'est un truisme que de le relever, et impriment une cohérence inconnue jusque là, mais pour une frange étroite de la population mondiale. En même temps, elle en exclut le plus grand nombre, quand elle n'a pas pour vocation de l'éliminer. On le pressent : en drapant de son discours, la technique devient technologie, tente d'occulter sa part d'ignominie et de dissimuler dans les replis de la rhétorique - notamment dans l'euphémisme- ce qui radicalise en elle l'exclusion de l'humanité. Mais l'affirmer n'a pas réussi à la contraindre, et il est des lieux en Europe où on se souvient encore un peu de la présence des usines de mort. Partout des discours, partout de la grandiloquence pathétique. Au « plus jamais », à la règle morale définie par Adorno
4, répondent, dans l'hébétude des regards, les désastres successifs qui ont marqué les générations nées après 1950.
C'est de cette stupeur dont nous fait part Lindqvist. Dans l'ouvrage précédent, Exterminez toutes ces brutes
5, paru chez le même éditeur, il avait déjà secoué les mythes féroces des colonisations, montrant par là qu'en deçà de la parole civilisatrice, ce qui s'était tramé était bien la rationalisation des préjugés et leur fondation comme sciences. La mission civilisatrice n'était qu'un alibi -bien mince, il faut néanmoins le reconnaître- qui masquait la réalité des pratiques exterminatrices. Maintenant tu es mort interroge cette fois la question des bombardements aériens, pratiques ouvertes elles aussi pendant les guerres coloniales.

Ouvrage bizarre, ouvrage de déconstruction. D'abord celle du livre, proprement dit : la linéarité textuelle - la forme tenue pour aboutie et efficace, la plus sobre semble-t-il pour transmettre le texte dans un environnement lettré, le résultat de cultures pluriséculaires - est découpée en entrées transversales. L'ordre de la lecture classique est celui de la chronologie. Mais nous sommes rapidement prévenus : cet ordre fait le lit du non-sens, celui de l'ordinaire. Nous sommes « libres » de le poursuivre, comme on poursuit l'illusion. L'illusion de la maîtrise, de la compréhension, l'illusion du sens. Nous pouvons dérouler des chronologies indéfinies : un législateur de Bagdad tente au VIIIème siècle d'édicter un corps de textes interdisant la mise à mort des non-combattants en temps de guerre et il meurt lui-même en prison ; vers le XIème siècle, la Chine a inventé la poudre, puis le canon, puis cela est arrivé : 1207, premiers textes militaires décrivant l'utilisation des bombes... Comme des statisticiens interrogeant la diversité de la production de nombres dans le temps et la retenant par de vastes tableaux voués à des synthèses productrices de sens aléatoires, nous pourrions recueillir la masse indistincte des discours, des faits, des jugements, des prouesses techniques et discursives, et tenter nous mêmes de construire un tableau de l'horreur. Mais c'est là l'œuvre d'une vie : les écrits de Braudel nous en donnent un aperçu, et aussi nous bouleversent, tant nous parvenons à nous approprier aisément cette Histoire, tant malgré la pesanteur de celle-ci, la grâce de son écriture atteint son lecteur. La chronologie, le déroulement du temps nous est aussi une évidence immaîtrisée, comme nous le rappelle Ricoeur
6, et si nous sommes capable de la dérouler, sa matière elle-même échappe à notre compréhension.
Mais contre ces horreurs - la guerre décrite comme mise en scène des combattants, alors qu'elle est en réalité d'abord destruction des civils -, nous partageons l'urgence. Nous ne pouvons vouer toute notre existence à nous pencher sur les linéaments nombreux, touffus, multifaces, de ces misères sales reconduites, répandues et multipliées. Il faut aller vite. Il faut déconstruire les logiques navrantes mises en œuvre et tenter le pari des raccourcis. Il faut à la fois qualifier et désigner l'origine de ces misères, afin de la sortir de sa rassurante opacité, comme on fait sortir de son trou la bête. Dire l'origine, c'est aussi croire à la possible guérison. La pleine lumière doit rendre possible le changement. Pourtant, c'est d'une évidence aveuglante dont nous parle l'auteur. Elle est déjà placée dans la pleine lumière de la conscience, et elle demeure pourtant dans l'invisible. Maintenant, tu es mort, annonce le titre, et nous le savons bien, que nous portons cette part d'ombre en nous, cette évidence d'une disparition réaffirmée sans relâche.
Revenir à l'essentiel : je suis un civil. Je suis protégé par les militaires, la guerre est pour moi un service encore lointain, ou alors qui a déjà eu lieu. Là où j'habite, loin du front, je n'encours que les conséquences les plus lointaines des combats. Mais tout, autour de moi, m'indique le danger, et me fait ressentir en moi cette stupeur tétanisante de ma disparition sans cesse possible dans la guerre. Lindqvist commence par là : enfant, tout enfant, il prend en charge cette dimension. Il faut se protéger, prévoir des abris, acquérir une porte blindée, dont la publicité couvre les magazines, cette « porte antigaz avec calfeutrage en caoutchouc » (§ 167) dont l'enfant a tant espoir. Car l'enfant sait : la guerre viendra des avions. L'enfant apprend déjà non à mourir, mais à disparaître. Il y aurait beaucoup à écrire, beaucoup à réfléchir sur les techniques sociales de banalisation de l'horreur. Mais c'est de ce centre là, l'être qui est préparé à disparaître, que part l'auteur. « Je jouais à la guerre ». Ce que met en jeu le bombardement, c'est ma propre disparition, celle de mes proches, de mon environnement affectif le plus immédiat. Evidence trop vite rejetée. Ce que met en jeu le discours de cela, c'est ma compréhension : je vis, je joue, je cours, mais dans la nuit, ce que j'entends c'est le vrombissement des avions aux ventres chargés de bombes et non le chant des oiseaux, et je me prépare à chaque instant à me dresser pour courir dans l'abri. Mais je comprends très vite, dans une compréhension obscure qui peu à peu fouille ma conscience, que cela ne servira à rien : je vais mourir, étouffé, gazé, enseveli sous les décombres, réduit en cendres, je ne serai plus rien, à peine la trace de ce rien imprimé sur le sol et que personne ne pourra relever, car il n'y aura plus personne. Je suis enfant, et je le sais. Je l'ai en fait toujours su, que ma crainte, que ma stupeur, étaient inversement proportionnelle à la trace que je laisserai. Partout où je vais, partout où je lis, partout où j'apprends à vivre, j'apprends cela, que je ne suis rien. Dans la nuit silencieuse, peut s'élancer le chant du rossignol, je ne l'écoute plus, je suis déjà de l'autre côté. Le silence de la déraison s'est installé en moi, et ne me quittera plus. Je suis civil, je suis encore jeune, et ce que m'apprennent de la citoyenneté mes maîtres, j'en doute déjà. Je suis un sceptique, je suis un inquiet. Par cette inquiétude, je vais tenter d'approcher au plus près du corps de cela rendu possible.
Ainsi, confronté à une chrono-logique, c'est depuis mon corps, depuis mon rapport premier à autrui, que je vais tenter d'apprivoiser la bête, car je crois encore possible de l'encager. Il est déterminant alors de considérer l'ordre de la préparation à cet état de guerre, d'examiner au plus près le discours commun dans lequel est tramé la préparation à la destruction de la culture à laquelle je suis préparé : la culture, c'est peut-être d'abord cela, la transmission de sa disparition, quand ce n'est pas l'appel de celle-ci. Lindqvist procède à un examen de la littérature la plus informe pour la conscience. Il invite son lecteur à traverser avec lui les linéaments de la modernité : Au commencement était la bombe. Il faut entendre cela, cette sortie de l'ancien, et l'apparition du nouveau, détaché du tohu-et-bohu de l'ancienne histoire. Au souffle divin, s'est substitué celui de la technique, de l'ingéniosité de l'homme. Ingéniosité qui ouvre l'âge du nouveau : avec la bombe, apparaît aussi le mythe de la machine volante, et dès le XVIIème siècle, la pensée technique voit en même temps les deux séries confrontées l'une à l'autre : si la machine volante promet un nouvel âge des transhumances - déjà l'appel vers le sud contre les froids hivernaux -, l'inquiétude taraudante se distingue que nul n'est désormais à l'abri de ce qui pourrait en être jeté sur les villes. Au commencement était la bombe : dans le déroulement des âges de l'humanité, ce que nous ne voulions pas voir après l'âge du fer et de la guerre, des incendies et des destructions, un âge aérien, elfique, dont s'emparent les aspirations de l'humanité. L'avion, machine et oiseau, nous soulève, nous transporte, chasse le divin de notre ciel, désoccupe l'espace de cette présence commune, et nous promet que nous serons enfin hommes. Et nous utiliserons alors cette capacité à nous dépasser, à nous alléger du souci marqué par le poids et l'appesantissement de Dieu sur nos nuques, infiniment en silence. Parmi les mythes, il y a celui de la pureté de l'air d'en haut, dégagé des miasmes populaires. On se souvient ici du travail de Corbin :
Abolir les exhalaisons de tous les excreta permet de libérer les odeurs individuelles de la perspiration, révélatrices de l'identité profonde du moi. Rebuté par les lourdes senteurs du peuple, signe de la difficile émergence de la notion de personne en ce milieu, aiguillonné par les interdits qui frappent le toucher, le bourgeois se révèle de plus en plus sensible à la respiration de ces troublants messages d'intimité.
La signification sociale de ce comportement s'impose avec évidence. L'absence d'odeur importune permet de se distinguer du peuple putride, puant comme la mort, comme le péché et, du même coup, de justifier implicitement le traitement qu'on lui impose. Souligner la fétidité des classes laborieuses, et donc mettre l'accent sur le risque d'infection que leur seule présence comporte, contribue à entretenir cette terreur justificatrice dans laquelle la bourgeoisie se complaît et qui endigue l'expression de son remords. Ainsi se trouve induite une stratégie hygiéniste qui assimile la désinfection et la soumission. "La fétidité énorme des catastrophes sociales", qu'il s'agisse de l'émeute ou de l'épidémie, donne à penser que rendre le prolétaire inodore pourrait instituer la discipline et le travail.

Les avions-sanatoriums voleraient au dessus des Alpes, arrachant l'humanité à la souillure. Nous vivons encore de ce mythe. Lindqvist en entend les maléfices.
Nous entrons aussi de plein pied dans l'ère utilitariste : l'avion est l'instrument même de la panoptique. Je vois de loin, sans rien toucher, sinon par la bombe. En bas, le monde de la merde.
Lindqvist repère ensuite un discours singulier : il lit des romans d'anticipation publiés à la charnière des XIXème et XXème siècles. Ils sont portés par des fantasmes génocidaires : les histoires projettent les lecteurs dans un avenir radieux, où toute la planète est conquise par les Européens, voire les anglo-américains. L'Asie et l'Afrique ont été colonisées, « les races inférieures » sont éteintes, en général massacrées, pour le bien de l'humanité blanche. Fardeau essentiel difficile à mettre en oeuvre que cette mission salubre : mais des engins aériens rendent possible une telle liquidation. Bombes, certes, mais aussi rayons désintégrateurs, armes bactériologiques, deviennent, avant leur invention, les armes du progrès contre les fausses civilisations. Le fantasme génocidaire est généralisé, et ne prête pas à rire. Dans la littérature, on se passe de l'alibi civilisateur. Il faut détruire et détruire et détruire. L'homme blanc devient démiurge pour inventer le monde à sa (dé)mesure. C'est aussi le temps de la guerre des mondes : les extra-terrestres sont tout aussi voués à l'extermination. En deçà du fantasme, bien installé dans le découplage entre la guerre et les combattants, c'est le concept de « guerre préventive » qui trouve sa place. Il s'est frayé un chemin, et permet alors de s'acclimater à l'horreur. « Le rêve consistant à résoudre tous les problèmes par une extermination venue des airs existe avant même que la première bombe soit larguée d'un avion » (§ 73). « Rêve », « résoudre tous les problèmes » : la pensée utilitaire et technique s'effondre dans l'étroit, dans le champ limité de la vision. Un peu auparavant, Rimbaud écrivait :
Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs !
7
Exterminez toutes ces brutes avait entr'ouvert le chemin par lequel le discours de la science s'était transformé et avait fondé des sciences de l'Homme par différenciation et discontinuité : celui qui doit l'emporter, ceux qui doivent disparaître. Opération magique ? Légitimation irrationnelle ? Il convient d'y voir de plus près. Ce qui est en marche dans la littérature accompagne le discours de la racisation. Discours devenu désormais opaque, mais fondateur semble-t-il de nos catégorisations insoupçonnables. Qui n'a jamais médité longuement devant les textes et les planches du Grand Larousse du XXème siècle ne peut s'en rendre compte. La littérature participe de cette autorité-ci. Elle mêle les trois grands modes de légitimation de l'autorité : par la tradition, par la Révélation, par la raison. Toutes trois imbriquées. C'est cela, la magie. Une façon de s'enferrer dans une imagination qui ne distingue pas le réel de sa représentation, ne voir que d'un seul œil. Et ressasser l'évidence transmise, la parant des oripeaux de la divinité, réduisant par pas successifs la raison en rationalité, voire en rationalisme. La technicisation du monde se paie de ce prix : rêve panoptique d'une évidence sans ombre, Frankenstein poursuit son travail d'assemblage des corps pour la refondation d'une unité qui n'a jamais été là. Le tout n'est que la somme de parties dont certaines sont amputables, puisqu'inutiles. L'incertain est renvoyé dans les limbes :
L'individu identifie conscience, raison et déterminisme ; c'est là l'origine du rationalisme et du scientisme comme idéologie du pouvoir. Car, aux yeux de cet individu qui se prétend autonome et qui a comme projet sa propre maîtrise et celle du réel, l'incertitude apparaît comme l'ennemi le plus dangereux. Celle-ci prendra la forme dans l'imaginaire de la modernité, du caractère "récalcitrant" du réel qui met systématiquement en échec le projet de transparence panoptique du rationalisme. Pour ce dernier (...), n'est admis comme rationnel que l'analytiquement prévisible, de sorte que tout ce qui ne rentre pas dans les capacités de prédictibilité humaine sera nommé "incertain". En procédant par là à une fusion d'autorité entre l'imprévisible qui regarde le sujet et l'incertain qui serait du côté de l'objet étudié.
8
Etroitesse d'un rêve : l'aérien trace désormais le champ des possibles guerriers et conquérants. La mort, désormais, viendra aussi des airs. Pouvoir de mort.
Il y a un moment fondateur : le premier bombardement aérien a lieu en Libye, en 1911. Ce n'est pas une légende : Lindqvist donne le nom du pilote, ainsi que la marque commerciale de la première bombe. Elle est jetée sur une oasis. Tout peut alors commencer : la réalité s'est emparée de la théorie et de la fiction. Les civils deviennent des cibles. Lindqvist remet en situation l'événement, du point de vue de l'agresseur mais aussi de l'agressé. La conquête de la Libye sous domination ottomane par les armées italiennes se fait au prix de massacres de la population et avec les encouragements littéraires de D'Annunzio et des prolégomènes du futurisme : ils applaudissent à ce déferlement de la modernité. Chassées des oasis, les populations tentent de rejoindre l'Egypte par le désert, et périssent, assoiffées, desséchées, jusqu'à la momification : « selon les chiffres officiels, la population arabe a diminué de 37% entre 1928 et 1931. Près de la moitié des survivants ont été répartis entre cinq camps de concentration. » (§135). L'événement est reconnu, et ce que certains ouvrages mettent en avant c'est d'une part l'aporie civilisatrice, qui permet d'établir le bombardement des inférieurs comme une mission de progrès, et d'autre part, que désormais, même les capitales européennes ne sont à l'abri de cette forme de guerre.
Il convient alors de repérer les linéaments de cette histoire du droit de la guerre : qu'est-il juste et injuste de pratiquer dans la guerre ? comment qualifier la guerre ? Qu'est-ce qui fait varier les comportements militaires dans la guerre ? Depuis longtemps, on fait la différence entre bellum hostile et bellum romanum. La première, entre gens de compagnie, la seconde, destruction totale. C'est la guerre contre l'autre définitif, celui dont la présence en face de soi est une insulte à la tradition, à la révélation et à la raison. Tout est possible face à cette altérité. Pourtant, la guerre est entre les Etats, en non pas entre les individus (Grotius, Montesquieu, Rousseau). Mais déjà, l'exclusion prend sa part, contre les Infidèles, les rebelles, les sauvages.
Contre ces derniers, il n'y a pas de loi, sinon l'absence de loi, proclamée comme loi. Il est entendu que justement ceux-là ne peuvent justement entendre la loi, et même que la catégorie de la loi leur est inessentielle.
On retrouvera bien plus tard, chez Rorty, par exemple, avec le relativisme ethnocentrique, un discours analogue : « nous ne pouvons justifier nos croyances (en physique ou en éthique) devant tout le monde, mais seulement devant ceux dont les croyances coïncident dans une certain mesure avec les nôtres »
9. A l'opposé, ce qui se dit, proclame « la relation immédiate à une réalité non humaine ». D'une part, le pragmatisme, de l'autre, le réalisme. Mais ce sont bien l'avers et le revers d'une même pièce. Le débat n'interdit pas la mise à mort du rebelle, et Lindqvist de rappeler très opportunément les conditions de la conquête de l'Irlande par l'Angleterre, ainsi que la politique de maintien de l'ordre par les exactions et la famine, essentiellement dirigées contre les civils. Le pouvoir démocratique rend cela possible, car la démocratie est aussi le régime des évidences partagées, celui de l'altérité refoulée dans le hors-champ de l'humanité des égaux. La conquête des Amériques par les descendants des Pilgrims fathers en fournit un second exemple assez décisif, qui s'appuie sur la dénonciation et la négation radicales de la tradition de l'Autre.
C'est aussi l'œuvre du discours de la Révélation : l'auteur rappelle la teneur de certains textes du Deutéronome, célébrant l'arrivée des fuyards d'Egypte en terre de Canaan, et qui, par la désignation de l'abjection et de l'abomination, promettent la destruction et l'extermination. Et pourtant, là aussi, texte fondateur s'il en est, par lequel le judaïsme fonde sa sortie définitive du mythe et son accomplissement face à la Loi. Matrice des textes juridiques à venir. Nœud obscur de l'aporie initiale. Mais le récit bégaie, comme ce que la Bible et ses commentateurs nous rapportent, par exemple Chouraqui :
Comment Elohîms a-t-il pu choisir un bègue pour défendre sa cause ? ! Voici l'explication inattendue et émouvante que proposent les auteurs d'une antique midrash.
A l'origine, Moshè était le plus éloquent des Hébreux. Un jour voyant un Egyptien prier ses dieux, enflammé de zèle, il lui reproche son aveuglement, le bouscule et brûle ses statues. La voix d'Elohîms retentit alors : Cet homme dit-il à Moshè, au delà de sa statue s'adressait à Moi. J'ai entendu sa prière et je l'exaucerai. Quant à toi pour t'apprendre à mieux comprendre ma Thora et le sens de mon unité, afin d'être plus réfléchi, tu bégaieras désormais. C'est ainsi que Moshè compris la différence qu'il y a , entre dire : Il n'y a qu'un Dieu ou dire ce qu'affirme la Thora : Les Elohîms sont un.
10
La Révélation est toujours accompagnée de son commentaire. Il en est du commentaire comme de tous les textes : il prononce l'infinie variation des arguments et des anecdotes. Celle-ci fut bien oubliée pendant la conquête des Amériques. L'infini répertoire des manifestations du divin ne sera revendiquée que bien tardivement dans le droit chrétien. La midrash rappelée par Chouraqui dit à la fois l'universalité des forces, mais surtout la continuité de celles-ci. Texte rare et fragile, image de l'image dans le tapis, à la fois recueillie dans son évidence et traquée dans l'opaque. L'effacement de la Loi est dans le regard de celui qui jette un œil distrait sur le monde, un oeil aveuglé par sa propre interprétation, et même Moïse commet cette suspension. Le discours de l'extermination, en revanche est celui de l'ampleur, de l'affirmation radicale. Il se fonde sur le visible le plus immédiat. Sur l'évidence partagée qui aboutit à la suspension de la Loi. C'est d'un tel aveuglément, d'une telle ombre entourée de lumières que procède la rationalité dans le geste qui suspend l'épreuve de la raison. L'évidence ne procède pas du bégaiement, elle pose souverainement. Lorsque la pensée bégaie, elle dépose, elle déplace, elle porte l'inquiétude dans son dire, elle hésite au seuil de l'affirmation. Son maître mot : « peut-être », qui n'est pas un maître. Mais le Deutéronome affirme néanmoins la nécessité de l'extermination, comme les textes antiques qui nous sont essentiels : l'Iliade, l'Odyssée.

Les lois de la guerre s'apparient aux injonctions du scientisme raciste, au XIXème siècle. L'espace vital doit d'abord être nettoyé des sauvages et des rebelles. La guerre de Sécession, aux Etats-Unis en apporte une preuve éclatante : ce sont les destructions systématiques accomplies par Sherman, incendiant les villes, ne laissant même pas les chiens en vie derrière lui. Le scénario sera poursuivi par l'extermination des indiens. Les législateurs internationaux - des juristes suisses - ne pourront qu'opposer des codes forclos, critiquant le recours à la Révélation, les décisions continueront à exclure les rebelles et les sauvages de la protection et du respect de l'humanité, au nom de la civilisation. Tout le problème inaperçu est de prédire comment se comporteront les armées sur les théâtres « civilisés », une fois les pratiques de destruction systématique acquises sur les terrains coloniaux. La sauvagerie entame la civilisation : le droit est de moins en moins respecté, « toutes les inhibitions sont levées » (§ 49). L'ennemi est assimilé à un criminel, dont le seul mode de soumission désormais reconnu est la capitulation sans condition. On comprend aussi un peu mieux cette réflexion d'un personnage de Naipaul, qualifiant le christianisme de
superstition récente que l'on exporte en gros aux sauvages du monde entier
11
La convention de La Haye trame peu à peu les conditions de la guerre : si le caractère destructeur des nouvelles armes est diversement apprécié, il n'en reste pas moins que la guerre contre les sauvages ne reçoit, elle, pas de cadre qui en limiterait les effets. De même, la représentation anticipée du conflit en préparation - la première guerre mondiale - n'est pas partagée. Seuls les militaires sont confiants. Mais ce n'est pas là l'essentiel. L'essentiel est dans la question : qu'a-t-on le droit de faire à la guerre ? Le pragmatisme des juristes est confondant : la guerre est d'emblée considérée comme une activité humaine décente, qui dispose de son économie, de sa recherche et de son développement. La guerre est motivée par la présence inquiétante de l'autre. La guerre veut la victoire sur l'autre. Le monde sans guerre ne serait pas monde : évidence inéluctable, clôture de la pensée sur son inéluctabilité. L'hétérotopie ne parvient pas à la conscience, le décentrement - un instant peut-être entrevu, mais suspendu en Europe par l'assassinat de Jaurès - n'impose pas sa démarcation. Qu'a-t-on le droit de faire à la guerre ? Nous nous acclimatons chaque jour à une autre suspension, celle de l'humanité. Nous apprivoisons l'inhumain. « Exister, écrivait Bousquet au lendemain de la seconde guerre mondiale, c'est se manifester dans une forme, mais la refouler du même coup, l'annuler sous l'averse des sables où se pousse la vie. Les jours ont la traîtrise d'un escalier de cendres »
12. Et dans le même recueil, Benjamin Péret réactualise la conscience de l'horreur que cette magie familière de la guerre permet de nier : « les superstitions sur l'ombre que l'homme peut perdre se trouvent confirmées à Hiroshima. Tué, l'homme d'Hiroshima a définitivement perdu son ombre qui, à jamais séparée de son cadavre, continue d'accuser ses assassins »13. Mais en 1947, la manifestation de l'horreur a eu lieu dans son évidence. En 1898, si tous savent, peu nombreux sont ceux qui ont représentation de cette séparation de l'ombre d'avec les corps.

Certains chiffres doivent inciter à la réflexion : « entre 1815 et 1914, le territoire mondial sous contrôle européen passe de 35% à 85% » (§ 50), principalement par le fait de canonnades sur des populations civiles. Les représailles ne sont pas encore à craindre, la supériorité technique des Européens étant considérée comme définitive. Ce type de guerre, si la guerre entre puissances c'est-à-dire entre armées de puissance égale éclatait, ne pourrait s'achever dans la victoire d'un des acteurs. Il devient très vite tentant d'appliquer, du moins en théorie, aux fronts européens possibles, les pratiques de destruction totale que connaissent les guerres coloniales. Il faut encore monter une marche pour le reconnaître.
Cette marche est celle du bombardement aérien systématique : l'aéronef trouve alors sa véritable vocation, celle d'assurer rapidement, à moins de frais que lors des guerres de surface, la conquête et, désormais, le maintien de l'ordre. La transformation de l'adversaire en ennemi instinctif a déjà eu lieu, il n'est plus qu'un bandit, contre qui la seule règle est celle de la « tolérance zéro » : fange du langage et de la pensée. Les Britanniques utilisent systématiquement l'aviation dès la fin de la première guerre mondiale - la fin des opérations terrestres dans le Nord de la France. Lindqvist énumère alors un véritable martyrologue des populations frappées par la mort venue du ciel. L'énumération est, dans l'écriture, le style de l'absence de style. Au lecteur d'établir ou de rétablir les articulations temporelles, logiques. L'écriture ici inscrit la neutralité du il y a : les visages effarés se perdent dans la nuit des bombes expérimentées (fragmentation, phosphore, empoisonnantes...). Un passage intéressant du texte évoque a contrario Churchill exigeant que la destruction des effets des bombardements et des mitraillades systématiques sur les femmes et les enfant ne soient plus rédigés. L'horreur doit être repliée dans le Neutre. En Irak, cela porte un nom : « contrôle sans occupation ». La marque essentielle est celle de l'efficace.
Ce Neutre se dresse à la hauteur des tours de New-York. Avant de visiter Manhattan, il s'est installé en Egypte, en Chine, en Irak, au Maroc, en Syrie, en Namibie, en Ethiopie, en Inde, en Birmanie, aux Philippines... Le nihilisme est avant tout la marque des crimes accomplis dans le silence par ces puissances européennes : on n'en guérit pas facilement, il faut le croire. L'utilisation systématique des gaz de combat contre les populations civiles - le gaz moutarde, notamment en Ethiopie -, par exemple, estampe durablement les rapports futurs avec ces puissances. L'extermination systématique de populations ciblées n'est pas non plus l'apanage des régimes totalitaires les plus voyants. En Ethiopie, encore, ce fut le cas pour les instituteurs et des intellectuels. L'Ethiopie, seul état d'Afrique indépendant membre de la Société des Nations, ne s'en relèvera jamais. Efficacité quasi définitive de ces massacres. Le FMI, la Banque mondiale, le poids de la dette... achèvent depuis le « travail ». On le savait depuis un moment : la guerre contre les « sauvages » loin d'apporter la « civilisation » à ces mêmes sauvages, « barbarise » la « civilisation ». Nous pressentons dans nos lectures la part de l'ombre, mais nous ne savons pas la nommer, tant le vertige nous prend. Le reproche le plus courant est celui des « sanglots de l'homme Blanc ». Le registre de l'émotion est en effet le plus immédiat. On oublie la peur panique, qui tétanise le jugement : l'enfant découvre brusquement la scène de la mort, une autre scène primitive rarement évoquée. Ainsi, cet animal que je dévore à pleines dents était un être vivant. Je vis de cette destruction. Tout l'effort de la culture est de parvenir à se l'approprier, tranquillement, heureusement, tout en en marquant les bornes. La culture occidentale - encore que l'on ne saurait vraiment en donner une définition dictionnariale - serait ce monstre-là : elle se nourrit de la perte des autres et de leur absence dans le souvenir occulté de leur présence ancienne. Faut il des efforts pour en dépasser les limites de la culpabilité : entendre chez Jules Vernes que le progrès est bâti sur l'impérialisme, et sur le déni de l'Autre.
L'argument juridique est en soi un pauvre argument. « C'est la loi » permet de suspendre l'exercice de la raison, indique la classe des actions et des pensées possibles, tranche avec l'interdit. Mais l'édifice juridique n'a jamais empêché le crime, et l'adulte le sait bien. L'enfant commence par le soupçonner. Il ouvre l'espace du doute systématique. Il peut s'accomplir dans ce doute, cette séparation qui le retranche sans cesse des paroles entendues comme des rumeurs dont il s'absente. « La rigueur de vivre se rode sans cesse / à convoiter l'exil » écrit René Char (Conduite). Il n'a pas le choix : il lui faut se déprendre, déposer cette poisse dont il sent bien qu'elle le rend incapable d'être libre. Lorsque le jeune étudiant Lindqvist, en Angleterre en 1947, évoque dans un foyer d'accueil la question des bombardements des civils par l'aviation britannique (Hambourg, notamment), le « chef de famille » le fait taire : ce sont là discours de traîtres. L'enfant, le jeune homme, sont donc traîtres et rebelles. Ils sont donc eux aussi bandits menacés. Le lieu de l'évidence est celui de la plus grande opacité. L'édifice de la pensée se déconstruit en même temps qu'il est pensé : l'enfant assiste à la déclosion de sa pensée. Il est irrémédiablement altéré et désaltéré de cette découverte. Cela seul peut s'appeler « identité ». Celle qui marque le véritable Interdit et détermine le véritable champ des possibles.
Parmi les possibles, il y a le retour sur soi de la catastrophe infligée à l'autre, dans une histoire dont on s'est pourtant absenté. Mais le réel est tenace : ce qui a été possible là-bas, nous revient comme nous revient l'absent de tout souci. On en a alors vraiment peur : si les autres sont bombardés, alors nous pouvons l'être aussi. Il n'y a plus de hâvre contre la terreur. Lindqvist rappelle cette littérature apocalyptique de l'entre deux guerres qui évoque les villes européennes bombardées, les populations gazées, la vie et la culture mises en suspens, le retour à la barbarie, au salut par l'ignorance. Things fall apart, comme le rappelle Chinua Achebe. Le monde s'effondre. Un monde s'effondre.
La prescience du crime contre l'humanité se lève, peu à peu. La littérature poursuit une trajectoire parallèle à celle du droit : entre les deux guerres mondiales, les juristes poursuivent leurs réflexions et leur travail de légalisation des bombardements sur les civils. Peu à peu, la distinction entre civils et combattants est levée : c'est de toute la nation dont il faut abattre le moral, afin que la demande de paix soit la plus rapide possible, afin que la vie des soldats soit épargnée. Déjà, les blocus économiques permettaient d'atteindre les populations civiles. Bombarder les centres des villes, permet d'accélérer le processus dépressif. Les théoriciens actualisent cet état de la pensée. A aucun moment, alors que la montée vers la guerre est particulièrement perceptible, il n'est possible de poser un frein. La seule question qui a vraiment cours est celle du rayon suivant lequel le champ du possible militaire est tracé : tous les territoires ou bien le théâtre des opérations ? Dans la confusion générale, c'est bien la notion de guerre totale qui l'emportera. Guerre totale : il n'y a plus de hâvre, plus d'espace possible refermé sur l'intime. Plus de distinction possible entre l'efficace et la vie. La pensée utilitaire l'emporte désormais. Nous avons assisté, nous y assistons chaque fois que nous nous replongeons dans les textes, à la restriction arbitraire du champ de la raison, c'est-à-dire plus justement à son effondrement. La faculté sur laquelle une bonne part du champ de la réflexion s'est fondé est en fait un nœud obscur dont l'ensemble n'est apprécié qu'à des moments choisis. Un certain exercice nous accoutume à une pensée déformée, comparable à ce bâton plongé dans l'eau de la fontaine et que par la volonté nous voyons si droit. Guerre totale : cela porte désormais un nom en Europe, Guernica. Mais toutes les colonies sont trouées de ses semblables, et c'est bien parce que cela est arrivé, parce que cela a été rendu possible dans les opérations de police contre les sauvages, que Guernica n'a pas échappé à l'impossible. Lindqvist montre combien, peu à peu, le théâtre de ces bombardements s'est rapproché de l'Europe. Il rappelle le rôle de la guerre du Rif, et la constitution de la Légion espagnole, qui fut utilisée ensuite par les troupes franquiste durant la guerre civile. L'interdit une fois levé, quel que soit le lieu, alors l'Europe n'est plus à l'abri. L'unidimensionnalité l'emporte, elle revêt l'uniforme de l'homme ordinaire :
On sait son portrait : illettré, inculte, cupide, limité, sacrifiant aux mots d'ordre de la tribu, fort avec les faibles, simple, prévisible, amateur forcené de jeux et de stades, dévot de l'argent et sectateur de l'irrationnel, prophète spécialisé en banalités, en idées courtes, sot, niais, narcissique, égocentrique, grégaire, consumériste, consommateur des mythologies du moment, amoral, sans mémoire, raciste, cynique, sexiste, misogyne, conservateur, réactionnaire, opportuniste et porteur encore de quelques traits du même acabit qui définissent un fascisme ordinaire
14.
Fascisme quotidien dont la pensée terrestre se complait dans la fuite en avant : ce que j'inflige à l'autre, il faut que je m'en protège, et que j'empêche cet autre de la commettre envers moi : la notion de « guerre préventive » peut alors devenir commune. L'imminence du désastre est sensible : la toile de Picasso annonce ces temps de gris, de flamme et de stupeur ; mais en fait, tout le monde s'y attendait, en Europe. Tout le monde s'y attend. Nous n'avons cessé depuis de survivre dans cette appréhension attendue et occulte.
L'étape décisive est franchie par les Britanniques, lorsque Churchill prend en 1940 la décision du bombardement systématique des villes allemandes. Le verrou a définitivement sauté, et contrairement aux idées reçues, l'Allemagne nazie ne disposait pas d'une flotte de bombardiers lourds rendant possible la décision opposée. Je me souviens de mon cours de khâgne sur la seconde guerre mondiale, au programme cette année-là : on y parla longuement de Coventry, et pas de Hambourg.
Le 11 mai 1940, quand les Britanniques envoient dix-huit bombardiers sur la paisible campagne de Westphallie dans le but d'y détruire quelques gares de chemins de fer, cela a-t-il un sens sur le plan militaire ? En réalité, on vise tout autre chose : provoquer des représailles allemandes et, ce faisant, entretenir la volonté de guerre des Anglais. On incite ainsi le public anglais à rendre les chefs allemands responsables du Blitz, alors qu'en réalité (...), ils faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour mettre fin à cette guerre de bombardement. (§ 179)
Thèse révisionniste ? A aucun moment, cependant, Lindqvist ne prend la défense de l'Allemagne nazie ni de ses alliés, comme il n'occulte pas la réalité des crimes. Le problème, désormais, est que la compréhension des opérations de cette guerre doit être revue. Que les manuels scolaires notamment prennent acte de cette nouvelle compréhension. La conduite vers le pire ne saurait rester dans l'inconnu. Il faudrait que les textes des décisions officielles britanniques connaissent une mise en évidence : bombes incendiaires pour mettre le feu, ensuite bombes explosives, pour empêcher d'éteindre les incendies. Coventry fut la réponse au bombardement de Munich. La désorganisation toute relative de l'industrie d'armement n'y dura pas trois mois. En revanche, le dispositif vendettal permit le durcissement des positions et celui des discours.
Lindqvist va plus loin. Et la deuxième thèse est encore plus inquiétante que la première. Nous savons désormais que les Alliés étaient au courant de la définition de « la solution globale de la question juive dans les territoires d'influence allemande en Europe » (Goering à Heydrich, §192) : malgré leur supériorité aérienne, les Britanniques n'ont jamais tenté d'imposer un échange, celui de l'arrêt des bombardements sur les villes contre l'arrêt des massacres systématiques. La dissuasion n'aura même pas été tentée. En revanche, Lindqvist montre que la montée en charge de la « solution finale » et celle des bombardements sur les civils allemands sont concomitantes. L'utilisation systématique de bombes incendiaires va exacerber les passions vengeresses. Certes, les deux ne sont pas assimilables, ne serait-ce que déjà par le nombre des victimes, mais surtout par les objectifs poursuivis : les Alliés ne poursuivent pas un objectif d'extermination. Le bombardement systématique et nocturne des villes allemandes est justifié par la démoralisation. La banalisation ainsi que l'occultation de cette horreur par les gouvernements britanniques ainsi que par les décideurs disent aussi la mauvaise conscience de ces mêmes décideurs : dans le silence des bureaux d'études, les statisticiens, les mathématiciens calculent efficacement les meilleurs moyens de tuer à moindre frais cinquante, cent mille femmes et enfants de plus. Si la réalité du crime est radicalement différente, un même fil de la pensée technique relie Hambourg, Auschwitz, Dresde, sur le théâtre européen de la guerre. Telle est bien la conclusion provisoire de Lindqvist. Cette conclusion est confirmée par l'analyse des travaux de chimistes américains sur le divinylacétylène, puis sur le napalm, mis au point en 1943. Mais là encore, le discours et les pratiques ne sont pas d'emblée monolitiques : les stratèges américains mettent en avant plutôt le bombardement de précision, de jour, sur les objectifs militaro-industriels, contre les bombardements de zone, nocturnes. Du moins, sur le théâtre européen. En revanche, pour le Japon, dont la population est assimilée à une sous-humanité, les stratégies vont évoluer. Le discours de l'extermination y est de plein droit. Il faut toucher l'anéantissement de la partie adverse. Les armées japonaises avaient déjà visé un tel but dans la guerre contre la Chine : bombes incendiaires, bombes explosives sur les quartiers résidentiels. Désormais, la rosée gélifiée du napalm. Il y a cent mille morts à Tokyo, transformé en brasier dans la nuit du 9 mars 1945. Puis, d'autres villes. Le Japon est à genoux, mais nul ne songe à déclencher des pourparlers. L'anéantissement par le napalm devient en quelques semaines une fin en soi, un but de guerre.
La littérature d'anticipation a préparé le terrain, là aussi. Dans un impressionnant catalogue, Lindqvist montre combien le rêve de la superarme est dirigé contre le « péril jaune », quasi systématiquement. Au début, la simple démonstration de cette superarme suffit à faire courber l'échine aux peuples d'Asie. Mais très rapidement, la fiction décrit l'extermination de la « race mongole » comme une fin en soi, garante de la véritable survie de la civilisation et de la culture. D'un côté la science et l'histoire, de l'autre les singes et la vermine. La superarme permet en plus d'instaurer une paix universelle qui repose sur un équilibre de la terreur. Mais en même temps que la dissuasion se manifeste à la pensée, survient son aporie : pour que cet équilibre soit manifeste, il faut que les systèmes de déclenchement de riposte et de contre riposte soient intégralement automatisés. Mais s'ils sont automatisés, rien ne peut les arrêter. Le dilemme de la dissuasion nucléaire est en place avant même l'invention de la superarme. Il repose sur la peur de la peur de l'autre. Le vertige s'empare des états-majors.
Le traitement de la question de la superarme est surtout pour le lecteur le moment de confirmation de la méthode de l'écrivain : l'argument est arrivé dans la série précédente, vers la fin. Il en recherche d'abord les traces dans la littérature. Il s'affirme ainsi comme lecteur, et renvoie à sa propre place, soit au moment de l'enfance, soit en tant que critique. Il confronte la figuration du réel aux découvertes techniques et scientifiques, situe la chronologie de sa propre histoire à l'intérieur de ce schéma. Ainsi dans le § 138 : « En 1932 (l'année de ma naissance), le monde a fait un grand pas... ». A partir de là, il va recenser les faits, à partir desquels une nouvelle série va pouvoir apparaître, presque se manifester avec insistance. L'être qui écrit ainsi ne s'absente pas de cette histoire : il parvient à rendre perceptible la seule question qui vaille la peine d'être posée, et qu'Hamlet a formulée. Si la pensée s'égare, si le phénomène est laissé dans l'inaperçu, alors la question s'efface. Lindqvist est tenace. Laisser cette question dans l'opaque équivaut à rien de moins qu'à perdre son âme. Toutes les entrées ont ceci de commun, qu'elles pistent la succession de défaites par lesquelles l'humanité a été entamée, dans la posture des victimes comme dans le regard des tueurs, et dans leur double langage. L'explosion de la Bombe sur Hiroshima est particulièrement révélateur de cette double défaite. Dernier point, le travail de la mémoire : la mémoire de l'événement appartient aussi à la série. Il faut également déterminer, analyser comment l'événement est souvent décontextualisé par un renvoi au domaine technique. Le discours technique est alors prolongé par l'auteur dans le détail des souffrances infligées, à partir de récits qui, eux, sont très fortement contextualisés. Parmi les 10 000, 50 000, 100 000 victimes, voici un survivant, une survivante. Cet être a un nom, un prénom. Voilà son corps, voilà les brûlures, voilà les éclats, voilà la peste atomique. Voilà des témoins, voici les ouvrages qui ont été publiés.
Il faut aussi rappeler comment cette mémoire est oblitérée par les mensonges d'Etat : « l'irradiation ne cause aucune « souffrance excessive » à ses victimes. « Il paraît qu'en fait c'est une façon très agréable de mourir » ». (§ 242). Les Bombes ont permis d'accélérer la capitulation du Japon. Les Bombes ont permis de sauver des centaines de milliers de soldats américains. Mais l'oblitération n'est pas complète : là aussi, la pensée procède par compartiments. Cette mémoire est en fait partagée. On le sait. Elle alimente le domaine de la fiction. La règle qui prévaut est que la réalité ne saurait apparaître autrement que mise en fiction. Elle ne doit pas être dite comme réalité. C'est le rapport du langage au réel qui est ici fortement contesté. Déni de ce réel, mais déni particulier : ce qui est nié ne l'est pas dans sa vérité, seulement dans son énoncé. On connaît le raccourci barthien : le fascisme oblige à dire, et donc à ne pas dire. Je ne pense pas que la qualification de fascisme soit la plus juste - elle permet surtout de contourner la pensée -, mais elle dit ici ce qu'il est si difficile justement de poser : de quel prix faut-il payer cette exigence de vérité ? Ne retrouve-t-on pas ici aussi ce rêve d'un monde transparent, irradié d'une lumière sèche, un autre dispositif panoptique ? C'est cette aporie là que le dispositif de lecture parvient à déposer : en cherchant son chemin dans les passages d'un paragraphe au suivant, en revenant en arrière, en sautant des étapes, le lecteur accepte forcément des suspensions dans la lecture. Temps de réflexion, où la pensée se fait latence, et par lesquels l'éclairage des argumentaires s'opère dans l'interdépendance et non dans de simples chaînes causales. Temps de suspens sur l'horreur qui habite le lecteur. Temps de silence aussi.

On pourrait estimer que la peste atomique était l'expression du plus haut degré de l'abjection, dans cette compréhension du pourquoi mourir et du pourquoi tuer. Mais la fin de la guerre coïncide, en France exactement avec le début d'une autre : le bombardement de Sétif et de la région commence en fait le 8 mai 1945. La logique qui prévaut dans la guerre coloniale est en fait toujours la même, malgré la convention de Genève, malgré la fondation des Nations Unies : tortures, ratissages, bombardements, mitraillages. Et le double langage des puissances impériales : agréer à l'ONU, ne fût-ce que du bout des lèvres au discours de l'autodétermination, et dans la réalité, considérer que les colonies font partie du territoire national. L'exemple français de l'Algérie sera édifiant. On pourrait aisément le comparer à celui du Kenya pour les Britanniques. Mais dans quasi tous les cas, l'échec est programmé. L'auto-détermination est acquise, malgré le bombardement des populations civiles, son enfermement dans des réserves : ce sera le vivier de la bonne conscience. Ainsi, pendant la guerre d'Algérie, la légitimité de cette guerre a été de quasiment tous les discours en France, pendant qu'une armée de 500 000 jeunes hommes pourrissait sur le théâtre des opérations. Ces jeunes hommes dont la plupart devaient se murer ensuite dans le silence, et dans l'incapacité de l'oubli. En 1958, le village de Sakiet-Sidi-Youssef était bombardé. J'ai un an, et bientôt, ma mère assistera à des conférences données par Fanon, à Tunis, et ce qu'elle entendra, déterminera une bonne part de ses déterminations existentielles.
L'exemple le plus accompli pour la destruction par bombardement est sans doute celui de la Corée. En quelques paragraphes saisissants, remontant un peu en arrière dans le temps, Lindqvist montre que la question ne lui est pas étrangère. Que cette question n'a pas seulement à voir avec le déroulement figé par l'histoire de ce qui a déjà eu lieu, mais que les linéaments en sont à la fois politiques et stratégiques. Que des soucis intérieurs aux puissances (Etats-Unis, Chine, URSS) ont peu à peu transformé ce conflit mineur et local en conflit aux enjeux mondiaux. Quelques paragraphes, pour montrer comment l'aveuglément, la pensée simple, verrouillent peu à peu les postures et crispent les attitudes. En Corée, la destruction a été totale et radicale : l'épitomé de toutes les théories stratégiques et de toutes les tactiques de bombardement. En Corée, le napalm a eu une utilisation systématique. La guerre se termine, sur le front. Elle ne se termine jamais pour ceux qui ont été atteint par une coulée de feu rosâtre. Elle se poursuit indéfiniment dans les sillons tracés dans le corps qui n'est plus un corps mais la trace de ce qui aurait dû en être un. L'humanité ne se repère plus par cet accomplissement. Les êtres atteints, ce sont des Survivants.
Il faut tracer un parallèle entre ces corps mutilés, ces êtres disparus à jamais -près de 5 millions, en Corée, 5 millions de vies qui n'ont pas pu modifier le monde par leur présence, imprimer leur marque sur la terre, et dont beaucoup n'ont même pas de tombe - ils ont été comme des chiffres, ils n'ont depuis longtemps plus de nom - et la présence des autres qui leur ont survécu et qui veillent, et ceux qui vivent avec comme horizon la présence du dernier homme, de la dernière femme. Je songe à ce passage de Bober :
Au cimetière de Bagneux, tous les ans, entre Roch Hachana et Yom Kippour, la communauté juive se réunit pour commémorer ses disparus. Pour chaque ville, pour chaque bourgade, une pierre tombale. Sur chaque pierre tombale des noms. Des noms gravés. La liste de ceux qui justement n'ont pas eu de sépulture. Et on lit les noms tout simplement. Tous les noms inscrits sans en oublier aucun. (...)
Au cimetière de Bagneux, on est toujours debout. Il y a des pierres tombales et personne en dessous. Personne n'est enterré là. C'est tout ce qu'on peut en dire. Ils ne sont pas là. Ils n'ont jamais été là. Les tombes des sociétés dont les survivants se réunissent chaque année sont des tombes aux corps absents. Les corps des morts sont inaccessibles et c'est cela qui est inacceptable et c'est pourquoi on lit à haute voix les noms gravés dans la pierre.
15
Indéfiniment résonnent en nous les paroles de Celan. Impossible désormais de lire ces noms, les êtres ont été liquéfiés, poussiérisés, évaporés. Il ne reste rien, pas même la trace d'une absence. Et pour les vainqueurs, l'obscure certitude qu'un jour, le Dernier Homme contemplera solitaire cette absence. La dissuasion nucléaire est née. L'espérance de liberté et d'intimité, de civilisation et de champs ouverts à des possibles démocratiques est fondée sur les centaines de millions de disparitions possibles, à chaque instant. L' « après guerre » est établie sur la conception, la réalisation et la production d'armes de destructions massives entraînant la destruction mutuelle. Mais au delà de celle-ci, la rationalité en œuvre permet l'élimination de toute vie sur terre. Il n'y aura même pas de Dernier Homme. Dans la littérature, on voit surgir la figure de l'homme qui refuse la posture du Dernier : il pilote l'avion, il est au fond du silo, il a pour mission de jeter la bombe, c'est-à-dire de ne pas la jeter, puisque la bombe trouve sa justification dans le refus de son utilisation. Ce sont figures de la double contrainte, et les états-majors s'enferment dans un discours contradictoire ; la rationalité se mesure à ce degré de folie. Mais en même temps ce qui se dit là, dans la littérature, puis bientôt au cinéma, c'est la responsabilité : « Nous portons tous - chacun d'entre nous - la responsabilité de faire échec à notre anéantissement » (§ 296). Le néant recouvre tout le champ du vivre : ce n'est pas de l'homme seul dont il s'agit désormais, mais de tout ce qui se démarque du minéral. L'accomplissement technique de l'humanité verrait sa fin, dans le silence des espaces balayés par les poussières nucléaires. Parfois, se dégage la pensée que cet hiver se répand par manque d'imagination, dans la parcimonie du rêve.
Contre la menace nucléaire, on voit les abris familiaux se multiplier, illusoires. La société s'atomise, se parcellise. Le rêve de grandeur et d'accomplissement s'achève dans le repli dans un trou.
[En 1964, j'arrive à Genève, venant de Tunisie. Nous habitons dans la petite commune de Meyrin, dans un immeuble moderne. La cave est un espace interdit : c'est une zone militarisée. Bien entendu, nous y passons nos journées, à jouer à la guerre atomique, plongés dans une lueur blafarde, parfois même un éclairage rouge. Les murs sont épais, les portes blindées, remplies de béton, avec d'énormes leviers pour les verrouiller. Nous devons avoir en permanence dans notre propre espace des produits (huile, sucre, céréales). Parfois, on se fait enfermer par les camarades. C'est une sanction, parce qu'on a désobéi. La porte se ferme. Je n'entends plus rien, pas même la galopade. Tout est dans le silence. Heureusement, il reste encore la lumière. Tous les interrupteurs sont à l'intérieur des espaces confinés. Il faut attendre que le concierge - un suisse allemand épais, à la langue gutturale, faisant dans la journée une ronde - nous rouvre la porte. Au début, il nous raccompagnait à l'appartement, et exigeait que nos parents nous sanctionnent. Puis il ne l'a plus fait. Il finissait par nous délivrer et nous engueulait lui-même. Il était très gros et m'a toujours semblé très bête. Il insistait toujours sur le fait que ce n'était pas bien, de ne pas prendre au sérieux la sécurité. Que nous étions étrangers et qu'on ne pouvait pas comprendre. Un jour, il a commencé à maigrir. Et puis il n'a plus été là. Le cancer avait été plus rapide que la guerre. Un couple espagnol lui succéda, qui se foutait de cette histoire de cave. Ces caves existent toujours, dans l'immeuble où habitent mes parents. Les portes sont toujours là, mais personne ne joue plus avec elles. Les joints ont filé, rongés par le temps et le salpêtre. Ces espaces là ont dû coûter des fortunes. Elles ne nous ont qu'en partie acclimatés à l'espérance de devenir le Dernier Homme.]

La guerre du Viêt-Nam va montrer une autre limite de la tactique du bombardement : même si celui-ci est massif -Tonnerre roulant est le nom de l'opération initiale- les infrastructures légères sont immédiatement reconstituées. La guerre technique ne semble prendre sens que quand l'ennemi dispose des mêmes armes, et que les logiques de guerre sont opposées mais pas dissemblables. En 1975, un dessin a fait le tour du monde : on voyait un ordinateur transpercé par une lance de bambou.
Mais en attendant, la guerre est l'occasion de tester des bombes qui peu à peu vont combler le fossé entre les armes « conventionnelles » et l'arme atomique. Ce sont les bombes à fragmentation, ainsi que des bombes incendiaires à très fort pouvoir de diffusion. Elles sont dirigées exclusivement contre les personnes, c'est-à-dire en priorité les civils. Mais cette fois, le contexte international est différent : l'année 1968 est celle de la révolte généralisée. Et puis l'image est présente. Nul ne peut ignorer ce qui se passe vraiment, là-bas, au Viêt-Nam, l'horreur napalmisée et quotidienne. L'efficacité technique des bombes est sans cesse accrue. Elle est inversement proportionnelle à l'efficacité politique. On a évoqué le traumatisme ressenti par le peuple américain à la vue des images de la fuite, le 30 avril 1975. Il y en a au Viêt-Nam qui ne se sont jamais remis de la micro goutte de napalm qui était tombée sur leur visage. Il y a aussi tous ceux qui sont revenus meurtris définitivement, tel Ron Kovic. Cette guerre aura peu à peu fait émerger ce que Pierre Nepveu dans un livre scintillant nomme les Intérieurs du Nouveau monde
16 et qui est l'élaboration d'une culture depuis un espace restreint, une autre manière d'être au (nouveau) monde. La question posée par Kovic et que reprend Nepveu :
Qui d'autre pouvait-on croire que ceux qui avaient vu l'horreur de leurs yeux et qui en étaient revenus meurtris dans leur âme et diminués dans leurs corps ?
17
est la seule qui vaille d'être posée, la seule qui puisse permettre de saisir l'essentiel : la guerre est d'emblée un crime contre l'humanité, entendue dans sa multiple acception : le caractère de ce qui est humain ; sa réalisation en chacun ; le genre humain en tant qu'il est par nature distinct des autres genres ; mais aussi la présence pressentie du visage de l'autre, hors de toute neutralisation. Revenir sur cela, c'est accepter sa propre conversion comme fonctionnaire du crime et planificateur de la destruction. Le physicien Freeman Dyson, qui fut analyste opérationnel pendant la deuxième guerre au Bomber Command britannique se compare lui-même, assassin de bureau, aux bureaucrates de la machine de mort d'Eichmann. « Eux aussi étaient restés assis, à rédiger des mémorandums et à calculer la manière la plus efficace de tuer d'assassiner des gens, exactement comme moi. Mais la grande différence, c'est qu'ils avaient été mis en prison ou pendus comme criminels de guerre pour ce qu'ils avaient fait, alors que moi, j'étais libre. » (§ 205)
Il savait, il lisait les rapports que l'on cachait au peuple britannique.
« Jusqu'à la fin, je suis resté assis dans mon bureau, occupé à calculer minutieusement les méthodes les plus économiques pour assassiner cent mille hommes de plus. »
C'est par cette étroitesse du rêve et la restriction de l'imagination, par cette absorption et cette dilution du désir dans l'en-dehors, cette fuite hors de l'intériorité, que la raison est absentée, et s'achève dans le souci technique. Nous devons partager cette intelligence, sous peine de perpétuer la gestion du parc humain, et de nous enraciner dans la barbarie. Mais tout nous y conduit aussi et d'abord notre façon de baisser les yeux sur la détresse, le mépris dont nous faisons preuve à l'égard des pauvres et des affamés.
Lindqvist parvient à dépasser son écoeurement, à nommer ses propres mesquineries - l'histoire de la barrière devant sa maison en est un excellent exemple : dresser des murs s'avère le plus souvent inutile, surtout lorsque le danger vient exclusivement du ciel, ce qui est désormais le cas avec la « conquête spatiale », dont un des axes essentiels fut le développement des lanceurs.
Ainsi, on nous faisait vibrer dans mon enfance avec cette « conquête spatiale ». On faisait en sorte que le lancement des fusées ne soit pas marqué du sceau de la guerre. Il fallait être bien naïf : je me souviens des entretiens de von Braun avec les journalistes. J'ai en fait toujours su que le problème essentiel tenait à celui de la stabilisation de la fusée, à la fiabilité des gyroscopes. Il ne faut pas perdre le nord. 1957 est l'année de ma naissance. C'est celle, pour une part de l'humanité, de la présence dans l'espace rendue visible à tous, je suis un enfant Spoutnik. J'ai vécu cette conquête et je m'en suis ému. En 1969, depuis un hôtel dans le sud tunisien, j'ai vu en direct les premiers pas sur la lune. Je me rappelle de mon émotion. Je me rappelle que le Nautilus fut une des machines de mon enfance, et que j'ai souvent rêvé de cette apparition du monstre fuselé au pôle Nord. Je savais aussi qu'il avait le ventre chargé de missiles Polaris. Nautilus, Polaris, Spoutnik, Voskhod, Vostok, capsule, Gemini, Apollo, Atlas, Saturne, sont des mots qui appartiennent à mon vocabulaire. Missile balistique, missile intercontinental également.
Le pire est d'avoir persuadé chacun de la précision des tirs. Aucun missile n'a jamais fait le tour de la terre chargé d'une ogive nucléaire. Heureusement. Personne n'est à même de vérifier que les explosions ne provoqueraient pas un dérèglement généralisé du système de tir, et donc, une action dont la moindre qualification serait celle de génocidaire. Mais le génocide est inscrit dans les plans de guerre : plus personne ne doute en fait que les victimes seront des civils, et les calculs opérés sont ceux de la rupture de l'équilibre dans la logique de dévastation : quelles sont les minorités ethniques dont on peut affirmer à coup sûr que la destruction n'affecte que peu le camp du vainqueur ? Dans ces conditions, quel est l'intérêt de développer la « frappe chirurgicale » ? Les stratèges disposent désormais, selon les estimations les plus courantes, d'une puissance de destruction globale équivalant à « un million de fois Hiroshima » (§ 358). Cette capacité de destruction concerne en priorité les villes, c'est-à-dire les populations civiles. Maintenant, nous sommes morts.

Le droit de la guerre a été sensiblement modifié dès 1945 : si les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité deviennent punissables par un tribunal international, le bombardement des civils est exclu de la définition du crime. La Convention de La Haye est en partie caduque. Les Alliés changent la loi, car elle aurait pu s'appliquer à leurs propres pratiques. Analogie : si le discours de la biologie est au XIXème siècle un discours fondateur du racisme, et au XXème, celui de la dénégation du racisme, ce qui est en jeu, ce n'est pas tant la biologie ou la génétique que les fondements même du discours scientifique. Il en devient de même pour le droit : s'il suffit de changer le droit pour rendre l'impossible possible désormais, c'est bien le droit qui est en jeu dans une telle dérive. Il n'y a plus d' « obstacles légaux à l'utilisation future d'armes nucléaires » (§240). Nous le savons, nous l'avons toujours su. Ce qui est en jeu n'est pas seulement le droit de la réplique -surtout lorsque progressivement sont définis et installés des systèmes autorépliquants- mais bien un nouvel ordre du monde. Le seul argument juridique tenable est que les effets de l'utilisation de la bombe ne s'estompent pas avec la fin du conflit, ce qui est contraire à la règle essentielle de la guerre. L'hégémonie ne peut se satisfaire du fantasme génocidaire, quand celui-ci vient d'une part rendre inexploitables les territoires conquis, et d'autre part venir frapper en retour le camp de la victoire. A moins que nous soyons encore guidés par le fantasme mortifère du dernier homme. Les juristes internationaux élaborent une tentative d'interdiction des armes nucléaires, dans l'indifférence des puissances hégémoniques. Le droit international ne parvient jamais à sortir de l'ornière dans laquelle il s'est fourvoyé. Et pourtant, les calculs font apparaître que si seulement 5000 mégatonnes des 13000, environ, actuellement disponibles explosaient, l'hiver nucléaire balaierait toute vie à la surface de la terre. L'arme nucléaire, dont la conception et la fabrication mettent les économies à genoux se révèle en fin de compte inutilisable. Le tribunal de La Haye peut alors légiférer. Les juges réunis en 1996 ne parviennent pas à une autre résolution qu'un compromis : si les armes nucléaires sont déclarées illégales, leur utilisation peut être nécessitée par les cas de force majeure, de légitime défense, et seulement si elles permettent de différencier les objectifs militaires des objectifs civils. Le clivage entre les juges provenant de puissances nucléaires et de pays qui ne disposent pas de cette puissance est particulièrement marquant. Ce sont en fait les grandes puissances qui parviennent à tracer cette fissure, car nous l'avons compris, aucune différenciation n'est possible dans l'emploi de la dissuasion nucléaire. La parole de l'intime est désormais légitimement en danger. Jusque là, elle l'était sur un plan accidentel. Plus rien, désormais, ne peut s'opposer dans le droit international à l'emploi du feu nucléaire. Voilà comme les mots peuvent ouvrir des béances silencieuses. La préparation des plans de destruction massive peuvent continuer tranquillement dans le silence des états-majors et des écoles de guerre. Il n'y a plus d'abri, plus de retrait possible : « par une mince fissure juridique, apparemment insignifiante, rampent vers nous des centaines de milliers d'Hiroshima. Nus, écorchés, aveugles, les yeux et la bouche en sang, ils continuent de ramper vers cette fissure » (§379). C'est bien là le visage de l'humanité quand la raison est congédiée.
La dernière entrée du livre tente d'approcher au plus près les justification de ce congédiement.
D'abord, le fantasme exterminateur et génocidaire est celui du paradis de la virilité. Dulce bellum inexpertis, la guerre est douce pour ceux qui ne l'ont pas faite. On peut désormais ajouter depuis la deuxième guerre du Golfe, la guerre est douce à ceux qui ne la voient pas. Dans l'aveuglement des téléviseurs, le visible était limité à la monstration de tirs de précision, réputés « frappes chirurgicales ». Dans la réalité, les bombes sont tombées sur les villages, sur les autocars bondés de civils fuyards, sur les villes et leurs quartiers populaires. Dans la réalité, le blocus international a provoqué la mort de centaines de milliers de civils. Depuis cent cinquante ans que les fantasmes génocidaires laminent les consciences, cette vérité-là n'a pas trouvé d'écho suffisant pour faire se lever les esprits. Les puissances et les nations coalisées n'ont eu que peu de difficulté à écraser par leurs armes massives un pays du tiers monde, aux frontières tracées par ces mêmes puissances, amputée d'une région fondée en état pour les seuls intérêts britanniques. L'Irak a retrouvé, et récemment encore, la politique de police exercée depuis les hauteurs, comme au moment de l'occupation britannique. Mais la guerre menée ainsi est aussi porteuse de mauvaise conscience de la part de ces puissances. Lindqvist rappelle que toutes les guerres de l'auto-détermination, qui se sont traduites sur les terrains par le déferlement d'un cruauté sans égale, ont aussi abouti à la fondation de plus d'une centaine d'états nouveaux. La victoire sur le plan militaire a toujours été une défaite politique. Dans sa fameuse Lettre du seigneur Erasme de Rotterdam au seigneur Antoine de Berghes, abbé de Saint-Bertin, montrant les multiples dommages de la guerre et tout ce qui en résulte de maux, d'inconvénients et d'accidents monstrueux, on lit ceci :
La guerre est si néfaste, si affreuse, que même avec l'excuse de la justice parfaite, elle ne peut être approuvée d'un homme de bien
18
L'histoire de l'humanisme européen se confond pourtant avec cette voix. Mais comme pour la rotondité de la terre connue des Grecs, la sentence a été en partie oubliée. Il n'en est resté que le souci du paraître. Oublieuse mémoire. Le bien s'est réduit à celui de l'homme blanc - contre les femmes et contre les autres.
Mais les « indépendances » se sont quand même traduites aussi par une victoire économique. Le fond du questionnement est peut être là. Le niveau de consommation atteint grâce aux progrès techniques dans les pays développés constitue un modèle qui semble difficilement généralisable à tous les êtres humains : les ressources en eau et en énergie actuellement disponibles n'y pourvoiraient pas, du moins tant que nous puisons sans compter. La croissance démographique est une réalité têtue. Les fortes classes moyennes de ces pays, mais aussi les classes privilégiées des pays sous-développés s'accrochent à cette capacité de consommation, confondue avec la vie même, ainsi qu'avec l'espérance de vie, devenue une fin en soi. Il n'est pas étonnant que ceci soit objet de désir au delà du besoin le plus élémentaire de manger, de se vêtir, de vivre dans la sécurité, des populations les plus pauvres.
Par toutes les ouvertures possibles, les pauvres tentent de rejoindre ces contrées désignées et auto-désignées comme l'antichambre du paradis. Et les seules réponses actuellement sont données par la construction de murs, la définition de compartiments sécurisés. L'altérité est reçue, quand elle est assimilée. Sinon, il faut considérer que l'exclusion est la porte d'entrée au fantasme exterminateur. Depuis le 11 septembre 2001, a été apportée la preuve que les murs ne tiennent pas. Mais nous le savions déjà : la peur des stratégies de terreur est généralisée dans les pays du nord, depuis près de trente ans. Ce sont des coups de boutoirs que ces pays entendent et ils ont peur. Mais enfin, au lieu de penser, et de mesurer à quelles conditions un nouvel ordre mondial est possible, la fuite en avant s'accélère. Et les brookers de Wall-Street et des autres places boursières du monde riche inventent tous les jours de nouveaux moyens de pillage et de rapine.
Classes moyennes : elles ont des désirs parcimonieux, des rêves étroits. Elles convertissent l'amour en contrat, la conversation en gestion d'intendance, la tendresse aux enfants en facilitateurs de réussite sociale. Toute la socialisation est infectée de cette peste anonymante, dénuée de rayonnement et surtout d'intelligence. Une apparente surdité semble affecter les populations moyennes, une absence de contrainte qui est une contrainte encore plus forte, ces attaches par lesquelles elles sont enfermées, cloisonnées, stagnantes, alors que pour la première fois, sans doute, nous pouvons vivre comme des funambules, travaillant sur nous mêmes la recherche de l'équilibre et du déséquilibre. Mais cette construction a la vertu de la patience et ne se décrit pas sans effort, ni fragilité accomplie, à la fois posant et déposant les fardeaux imposés. Mais également, elle prend acte non de la prétendue transparence des discours politiques, mais de leur mise en travail, de leur mise en perspective, de leur confrontation. Toute autre posture est magique, et dégrade la parole dans le slogan. Et avec le slogan, c'est une part de mort qui s'installe au cœur des consciences vaincues dans la pensée commune, la configuration moyenne. Le pari que fait Lindqvist - et que beaucoup partagent - est que la lecture de ce livre soit aussi écriture d'une histoire, celle du lecteur, selon les modalités peut-être ici repérée : l'inscription en soi de cette histoire et de cette perspective, mon siècle des bombes. Je ne peux me contenter de répéter ce que je fais semblant de ne pas savoir, ou alors, j'abolis en moi toute perspective de libération du troupeau. Ecrire devient nécessité absolue, dans une démarche non de vaticination ou de séduction, mais bien de pensée du politique c'est-à-dire de dépassement de soi, dans le va-et-vient de l'un vers l'autre. Si le mouvement n'est pas amorcé, si le texte n'est pas mis en circulation, alors toute velléité de sortie de l'anonymat de la classe moyenne s'effondre dans le discours de la plainte et de la compassion ineffective et triste. La question essentielle est bien la suivante : Qui vive ? Et nous risquons de la poser dans le vide des « cirques de pierre », de n'entendre plus pour réponse que l'écho de notre propre voix, que l'écho de nos propres pas. Je rappelle ici ces mots de Viviane Forrester, dont l'ouvrage décrit un monde peuplé ni de morts, ni de vivants, mais de ces êtres à l'horizon barré, à la fois morts et vivants, nous-mêmes, lointains parents des zombies haïtiens, dont l'exploitation servile a facilité l'émergence du capitalisme :
Tant que le discours politique ne pourra être un discours technique et/ou philosophique, le plus difficile soit-il, et que chacun ne pourra entendre, comprendre, tenir ce discours, il n'y aura pas histoire mais imposture. Tant que le discours politique ne dira pas le pire, tant que le pire ne pourra pas être dit, et supporté, et assumé, commenté par tous, non expurgé et que l'on fuira l'exactitude pour mieux manoeuvrer les masses, tant qu'il y aura des masses, non des identités, l'utilisation de la mort abrogera chaque vie durant tout son vécu. Tant que dire signifiera celer, assourdir, abrutir, afin de contraindre ; tant que pour mieux embrigader, asservir, on détournera l'organisme humain de la pensée, de l'exercice ardu, viscéral, dangereux de la pensée ; tant qu'il semblera naturel que l'écriture, les textes de leur temps soient illisibles, inaudibles à leurs contemporains, non armés pour les entendre ; tant que le lieu géographique de l'histoire - des histoires - ne sera pas le corps de chacun, sa vie, ses identités, il n'y aura histoire ni des hommes ni des femmes, mais l'épopée d'un troupeau.
19
C'est de cette épopée dont il faut dégager l'emprise : le sort de la planète est en jeu. Les plus pauvres, eux, sont déjà enfermés dans la permanence du désastre.

L'exclusion contraint. Elle efface le visage des autres de notre possible reconnaissance, elle abolit l'inconnu, par quoi l'existence est à chaque instant inventée, instable dans sa volonté, improvisatrice par essence. Elle dresse le premier mur, prélude à tous les préparatifs de guerre, alors que nous le savons, et depuis bien longtemps : la paix n'est jamais payée trop cher.

Yves Chemla, Ozoir la Ferrières, 17 avril 2004
-------

1 Levinas, Emmanuel, Altérité et transcendance, Fata Morgana, , 1995 p.116
2 Casanova, Pascale, La République mondiale des Lettres, Paris, Seuil, 1999
3 Blanchot, Maurice, Les Intellectuels en question. Ebauche d'une réflexion, Paris, Fourbis, 1996, p.17
4 « Pense et agis de telle manière qu'Auschwitz ne se répète jamais. »
5 Lindqvist, Sven, Exterminez toutes ces brutes. L'odyssée d'un homme au coeur de la nuit et les origines du génocide européen, Paris, Le Serpent à Plumes, 1998. Voir Chemla, Yves, « La colonisation, un laboratoire des génocides », Notre Librairie, N°143, Paris, février-mars 2001
6 Ricœur, Paul, Temps et récit. 1. L'intrigue et le récit historique, Paris, Editions du Seuil, Points, 1983, p.25
7 Lettre à Paul Demeny , datée du 15 mai 1871
8 Benasayag, Miguel, Le Mythe de l'individu, Paris, La Découverte, coll. Armillaire, 1998, p.63
9 Cité par Taguieff, Pierre-André, La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, La Découverte, Tel Gallimard, 1987, p.538
10 Chouraqui, André, Moïse, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1997, p.111
11 Naipaul, V.S., Une Maison pour Monsieur Biswas, Paris, Gallimard, L'Imaginaire, 1964 p.476
12 Bousquet, Joë, « Vue d'outre-noir », in Le Surréalisme en 1947. Exposition Internationale du Surréalisme présentée par André Breton et Marcel Duchamp, Paris, Pierre à feu et Maeght éditeur, p.99
13 Péret, Benjamin, « Le sel répandu », ibid., p. 23
14 Onfray, Michel, Politique du Rebelle. Traité de résistance et d'insoumission, Paris, ivre de poche, Biblio, 1997 p.193
15 Bober, Robert, Quoi de neuf sur la guerre ?, Paris, P.O.L., 1993, p.224-234
16 Nepveu, Pierre, Intérieurs du Nouveau Monde. Essai sur les littératures du Québec et des Amériques, Québec, Editions du Boréal, 1998
17 Id°, p.16
18 Margolin, Jean-Claude, Erasme, Paris, Seuil, coll. Ecrivains de toujours, 1965, p.91
19 Forrester, Viviane, La Violence du calme, Paris, Seuil, Fiction & Cie, 1980, p.35

 

 

 

  Mise à jour le : 24/01/09